Voilà quinze ans, nous étudions au LPSS de l'Observatoire de Meudon sous la conduite du Professeur Dollfus, quelques buttes pyramidales martiennes à la haute résolution de l'époque, sur les images des Viking Orbiter 1 et 2, en attendant avec impatience celle de Mars Observer, qui ne vinrent jamais…
Parmi ces buttes témoins, une surpassait toutes les autres par ses singularités morphologiques. Elle était localisée dans la limite extérieure Nord-Est du bassin d'impact Hellas, vers 41°S par 257°.
C'est à cette limite que se situe le rempart oriental provenant de l'impact initial, topographiquement crenelé et atteignant 3000 m d'altitude. Cette région cumule une géologie très complexe associant des marges de volcans boucliers et un complexe de terrains volcaniques fortement remaniés par des impacts météoritiques et des ejecta.
La butte pyramidale en question fut donc étudiée sous toutes les coutures possibles à l'époque.
Images Viking retraitées et carte géomorphologique de la butte pyramidale.
Localement, cette butte pyramidale s'inscrit dans une région de lambeaux de plateau généralement à sommets plats ou bien de buttes coniques de plus petites dimensions (quelques centaines de mètres au plus), et se trouve à quelques kilomètres d'une grande vallée de type "Fretted channel".
Composition colorée d'une image Viking Orbiter.
L'étude des clichés Viking Orbiter permit de dégager les carctéristiques morphologiques suivantes :
– la butte a une élévation relative calculée avec les ombres portées et par rapport à sa base d'environ 4 000 mètres ;
– les flancs Nord et Ouest de la formation, au contact des plaines du Nord, s'étendent sur près de 20 km de long, en pente douce ;
– les flancs Est et Sud se développent en direction d'une vallée. On n'y perçoit pas de contact avec cette vallée. Les tabliers s'y étendent sur 10 km de long ;
– le tablier apparaît fortement dissymétrique compte-tenu de la nature en "facettes" de la butte pyramidale.
Base | Tablier | |
Ouest/Nord-Ouest | 40 km | 17,5 km |
Est/Nord-Est | 40 km | 12 km |
Sud | 40 km | 10 km |
Longueur de la base et du tablier
Bloc diagramme schématique réalisé à partir des données Viking.
Les traitements d'images de l'époque, révèlerent d'autres éléments, dont notamment :
– des niches d'arrachements (ou "coups de cuillères) visibles sur le versant Sud, à des élévations assez importantes (2 500 m et plus). Elles ont occasionné des coulées et fluages de matériaux vers l'aval ;
– des différences entre la texture des matériaux du pied de la pyramide, du tablier fluent et du rebord du tablier. Les réponses spectrales paraissaient être différentes. De possibles effets de compaction et de tassement furent envisagés, mais il se peut aussi que la nature même de la surface soit en cause (une teneur en glace plus ou moins forte…).
– plusieurs cratères d'impact sur le tablier dont notamment celui situé au Nord/Nord-Ouest et dont les éjecta lobés entrent en contact avec le tablier de la butte pyramidale. Celui-ci paraît comme arrêté dans sa progression et ne pas le chevaucher comme on aurait pu le croire du fait de son imposante présence et des forces probables de poussées qu'il a développé lors de son fluage…
– un profil bombé du tablier ;
– un effet rotationnel inexpliqué sur le tablier tout autour de la butte, probablement mis en place lors du fluage de celui-ci.
Vues en perspectives réalisées à partir des données Viking.
Les hypothèses et interprétations de l'époque furent celles-ci :
"Ce tablier fluent composé de "lamelles" et de rainures incurvées, est probablement aidé par une matrice fine de glace intersticielle.
Les images suggèrent un flot radiale de débris, extérieur à la surface du tablier, venant des hauteurs de la butte pyramidale. Celle-ci semble s'effondrer sur elle-même en se répandant littéralement sur son socle : la plaine.
Si certaines lamelles et leurs rainures sont localement détournées autour d'obstacles, il reste très difficile d'en préciser la nature. Ce peut être des remparts de cratères d'impact, des ejecta de cratère et même aussi et plus simplement des gros blocs effondrés.
Les formes apparaissent bombées et les profils des tabliers d'éboulis convexes. Il semble qu'elles résultent de l'addition des fluages des débris, peu à peu entraînés par la gravité.
Enfin et pour des raisons inconnues, des différences entre les pentes du tablier sont suggérées. En effet, la pente du versant Sud semble plus forte que celle du versant Nord-Puest, du fait de sa plus courte longueur et de son relatif bombement.
En conclusion.
Dans la région de Deuteronilus Mensae, l'ensemble des buttes coniques et pyramidales sont de plus petites tailles, et ne dépassent pas souvent les 1000 mètres de hauteur. Ainsi, il reste très difficile jusqu'à présent de pouvoir les étudier en détail, faute de résolution suffisante.
Cependant, il apparaît certain que leur mise en place et leur modification morphologique est causée par les mêmes types de processus. De plus, leur dynamique (notamment celle de leurs tabliers) semblent elles aussi identiques, avec cependant une réserve majeure : la dynamique d'un tablier doit dépendre principalement de sa teneur en glace constitutive et intersticielle. C'est probablement la raison des sensibles différences d'épandages des tabliers circulaires.
Ces buttes sont donc le résultat d'une érosion régressive s'exerçant sur les parties extérieures du plateau cratérisé de Mars. Témoins des élévations passées de ce plateau (moins les parties excavées), elles s'organisent à proximité de lambeaux de plateau de même origine génétique".
© Texte : Gilles Dawidowicz/APM.
© Dessins : Gilles Dawidowicz.
© Images : NASA et ESA.