Un scénario technico-financier crédible
Dans ce qui suit nous tenterons de discerner ce que pourrait être la conception architecturale du projet de SpaceX et d’évaluer la vraisemblance de ses caractéristiques et dimensionnements techniques. Démarche quelque peu hasardeuse, vu la tradition d’innovation de l’entreprise et le peu d’indications sûres dont nous disposons (cf. § précédent). Sur ces bases néanmoins nous parvenons à la conclusion qu’un MCT entièrement réutilisable (mis à part éventuellement l’étage supérieur du lanceur) apparaît techniquement et opérationnellement imaginable, même s’il suppose que soient franchies un certain nombre d’étapes techniques, tout particulièrement en ce qui concerne le lanceur.
Une architecture de mission innovante
On aboutit au scénario ci-dessous.
- Lors de la fenêtre de tir précédente, 3 ou 4 lancements automatiques de la classe 50 T en LEO, capables de délivrer 5-6 T de Charge Utile (CU) sur Mars (Falcon9 Heavy ou équivalent) déposent les équipements nécessaires à la production et au stockage des ergols de retour in situ. Leur déploiement et leur mise en œuvre est prévue en mode automatique, supervisé par le contrôle sol, avec la possibilité cependant d’attendre l’arrivée du premier équipage en cas de défaillance ou d’imprévu ingérable en mode robotique mais clairement identifié comme bénin pour un intervenant humain.
- La mission proprement dite commence par la mise en orbite terrestre basse, sans équipage, d’une navette martienne MCT d’une centaine de T (charge utile cargo incluse), emportant dans ses réservoirs environ 210 T de propergol O2/CH4 qui vont permettre l’injection sur l’orbite de transfert. Cette navette a fait office de 3ème étage du lanceur, en consommant 200 T (à la manière du SIVB de la Saturn 5) ; sa charge initiale est donc d’environ 400 T de propergol. La navette est lancée inhabitée car sa masse au décollage interdit l’emploi d’un système d’éjection propulsif en cas d’incident lanceur.
- Peu après, les membres d’équipage rejoignent le MCT, à l’aide d’un ou plusieurs lancements du type Falcon9 + Dragon2 (6 passagers par capsule). En supposant 2 vols taxis, capables de 2,5 T en LEO, la masse initiale en transfert serait accrue de 5 T.
- Les 4 moteurs ventraux à O2/CH4 du MCT, configurés pour les manœuvres d’atterrissage et décollage martiens, injectent la navette en transfert, sur une orbite « de libre retour » qui dure environ 6 mois (contre 8 à 9 mois en mode économe de Hohmann).
- A l’arrivée sur Mars, un manœuvre d’aérocapture permet la mise en orbite elliptique du MCT, corps portant dimensionné pour rendre le flux et la charge thermiques supportables par une protection thermique totalement réutilisable sans maintenance (métallique). L’apoastre est ensuite abaissé jusqu’à circularisation à l’aide d’une ou plusieurs manœuvres d’aérofreinage, le but étant d’évacuer (par rayonnement) la charge thermique emmagasinée dans chacune des manœuvres.
- La phase d’entrée, descente, atterrissage (EDL) se produit ensuite, dans des conditions supportables du fait du coefficient balistique retenu (environ 250 kg/m² à grande incidence). Le freinage propulsif final (500 m/s plus pertes) est assuré par les 4 moteurs, logés dans 4 trappes situées le plus possible à l’écart de l’axe du véhicule et avec les tuyères désaxées vers l’extérieur, pour minimiser les risques de projections. La navette se pose en position horizontale, afin de faciliter le déchargement du cargo. Le train tricycle utilisé pour le posé est le même qui sera utilisé pour l’atterrissage final sur Terre.
- En temps utile, la navette est avitaillée en ergols par la station de production-stockage in situ.
- A la fin du séjour de 18 mois, pour le décollage, les moteurs ventraux sont utilisés à pleine poussée (70 T) ; l’ascension en orbite a lieu « à plat », c’est-à-dire dans une direction grosso modo orthogonale à l’axe du vaisseau (du fait de la disposition des moteurs). Ce mode est possible du fait de la faible densité de l’atmosphère martienne.
- La navette atteint d’abord une orbite de parking, puis les mêmes moteurs assurent finalement l’injection sur l’orbite de transfert Mars-Terre. Le dimensionnement des réservoirs résultant des besoins de la phase aller (fin de mise en LEO et injection sur l’orbite de transfert), soit 420 T, permet de se placer sur une trajectoire de retour plus rapide (de l’ordre de 6 mois) que la trajectoire de Hohmann.
- A l’arrivée dans le domaine terrestre, un première manœuvre, d’aérocapture, place le MCT sur une orbite très elliptique, minimisant la charge thermique, dimensionnante du fait de la vitesse de rentrée. Puis, après dissipation de cette charge, une ou plusieurs manœuvres d’aérofreinage permettent de circulariser l’orbite. Enfin se produit la rentrée, sur un mode voisin de celui du Shuttle.
- L’atterrissage est également analogue à celui du Shuttle, éventuellement avec une vitesse légèrement supérieure en fonction des caractéristiques aérodynamiques, optimisées ici non pas sous la contrainte de l’obtention d’un fort déport latéral mais, essentiellement, pour les meilleures conditions de freinage martien (finesse, coefficient balistique). Le train, déjà utilisé en mode posé sur Mars, est réutilisé sur Terre en mode roulé.
Un contexte favorable
Reste à se convaincre qu’une entreprise aussi ambitieuse puisse être endossée par un décideur visionnaire, capable de mobiliser les ressources financières, et menée à bien par une organisation suffisamment galvanisée… Au vu des décennies passées, on peut douter que cela advienne avant longtemps dans le strict cadre des instances officielles. Par ailleurs, qu’un acteur privé – mécène, association ou entreprise – en soit capable a jusqu’à présent été considéré du domaine de l’utopie. La percée de SpaceX et le succès des autres entreprises créées par Elon Musk (Tesla Motors, SolarCity) doivent conduire les plus sceptiques à être moins catégoriques, et les plus enthousiastes à bien comprendre les raisons de pouvoir croire au succès de l’initiative.
Certes sur le plan politique, tout peut arriver. Mais jusqu’ici, SpaceX a bénéficié du soutien de l’administration, en particulier à travers les contrats de ravitaillement de la Station spatiale et de développement d’une capsule habitée pour y accéder. La NASA vient également de lui louer un des pas de tir désaffectés de la Navette et de l’accueillir dans son centre d’essais de Stennis pour les essais du Raptor. Pour l’affaire des lancements de satellites militaires par contre, la partie est rude, car les enjeux sont colossaux et SpaceX se heurte au puissant ULA, alliance des géants Boeing et Lockheed Martin. Cela dit, SpaceX bénéficie de la crise des relations avec la Russie, l’Atlas 5 d’ULA utilisant un moteur russe ! Qu’adviendra-t-il avec une autre administration ? Le maintien d’une position politique favorable suppose en tout cas de continuer à proposer des solutions innovantes, permettant de s’imposer par les faits.
Abordons maintenant une tentative de donner des caractéristiques à ce qui n’est encore, du moins vu de l’extérieur, qu’un projet aux contours incertains.
Merci beaucoup pour cette synthèse passionnante qui permet de suivre une aventure exceptionnelle.
Merci pour cette superbe étude, et en français! Quel plaisir. J’ai vu sur des sites américain que le ravitaillement orbital faisait maintenant partie du concept, ce qui pourrait augmenter sensiblement les charges utiles sans compromettre vos idées. Une option de propulsion solaire électrique pour réduire les temps de transfert seraient également à l’étude, selon les affirmation de la ceo de spacex. Je vais immédiatement voler les précieuses informations sur la rentrée atmosphérique martienne pour améliorer mon propre, modeste et amateur petit système de transport colonial. Merci et je vous souhaite bien des commentaires intéressants
Michel lamontagne
J’ai voulu voir ce que donnait une solution avec le moins de « modules » et d’opérations orbitales, et entièrement récupérable. Mais on voit bien qu’on atteint des dimensions peu réalistes… Oui, le ravitaillement orbital permettrait de réduire les tailles, mais augmenterait le nb de lancements et la complexité des opérations. Ce sera peut-être une obligation. Pour la prop électrique, vu les masses de vaisseau, je n’y crois pas trop (il faudrait de grosses puissances…).
Merci pour vos réflexions.
On m’a fait la remarque, quand je l’ai proposé sur un autre site, qu’un lanceur a trois corps n’est pas si simple non plus. Il faut reconnaitre que les manoeuvres orbitales ont aidé a atteindre la Lune, par exemple. Mais je reconnais que le transfert de grandes quantités de carburant en orbite reste un inconnu de taille. Cependant, je me demande si Falcon Heavy, avec son transfert de carburant en vol n’est pas un essai précuseur de la part de SpaceX, dans l’optique de travail qu’ils semblent avoir depuis leurs début, financer la recherche avec des activités lucratives…