Devis masse, en configuration décollage de Mars
Cette fois, on embarque 423 T de propergol, produit in situ : 420 T pour la remontée en orbite et l’injection sur orbite de transfert et 3 T pour les manœuvres orbitales.
On suppose, logiquement, la charge utile retour réduite à 5 T.
La masse totale au décollage est donc :
MDéc = 491,2 T
Devis masse, en configuration rentrée terrestre
Cette masse détermine le coefficient balistique final et les flux thermiques associés aux manœuvres dans l’atmosphère terrestre. Elle dimensionne également la quantité de propergol nécessaire au freinage final et au posé. Comme rien, hors le propergol, n’est largué (ni modules, ni effluents), elle est égale à la masse au décollage moins la masse de propergol décollage + injection transfert, soit
MAttT = 71,2 T
Cette valeur est semblable, mais inférieure, à celle de la Navette spatiale (84 T). Par contre l’atmosphère est abordée avec une énergie cinétique par kg au moins 2 fois plus grande, puisqu’on descend de l’espace interplanétaire au lieu d’une LEO, ce qui devrait obliger à segmenter la rentrée (cf. § « Données propulsives du vaisseau navette »).
Nota : au début de la démarche (§ « Masses d’ergols »/ »propergol de retour ») nous avions pré évalué cette masse à 70 T. Le faible écart avec la valeur trouvée ci-dessus ne justifie pas un rebouclage des calculs.
Problèmes divers
Cette analyse n’est qu’un exercice d’évaluation, dont certaines des données restent approximatives, faute d’étude approfondie. De plus, un certain nombre de points critiques resteraient à traiter.
Centrage, rétropropulsion
Entre le freinage final sur Mars et le décollage, le centre de gravité (CdG) est a priori positionné très différemment : à l’aller les réservoirs de propergol sont quasiment vides, alors que les soutes (à l’avant et à l’arrière) sont chargées ; au décollage, à l’inverse, les réservoirs sont chargés de plus de 400 T et les soutes allégées. Cette importante variation peut être minimisée en positionnant les réservoirs en position centrale et en prévoyant des soutes auxiliaires à l’avant du fuselage venant équilibrer la soute principale arrière chargée des éléments de la CU de densités les plus faibles (pièces encombrantes). Le problème posé est celui du fonctionnement des moteurs auxiliaires, dont la résultante de poussée doit passer par le CdG (aux commandes de pilotage près) tout en gardant par rapport au vaisseau une orientation déterminée. Il se pourrait que ces contraintes obligent à conférer aux tuyères un angle de débattement important, avec des conséquences sur la taille des trappes et la masse des actuateurs. Ce point n’a pas fait l’objet d’une évaluation.
Sensibilité aux évaluations des postes du devis masse
Étant donné qu’on aboutit à une valeur de CU de moins de 18 % de la masse envoyée vers Mars, et qu’on a distingué une douzaine de postes dans le devis masse, les incertitudes d’évaluation sur chaque item prennent vite de l’importance :
- sur les gros postes, même si elles semblent raisonnables en pourcentage ;
- sur les petits, quoique faibles dans l’absolu, à cause du nombre de ces postes.
Il est donc nécessaire, à ce stade, d’être prudent sur cette évaluation des masses ; une analyse approfondie pourrait amener à une réduction de la CU, ou contraindre à d’autres choix d’architecture. Le point le plus intéressant à évaluer plus sérieusement est la structure du corps portant, poste majeur, sur lequel des méthodes simplifiées de calcul des structures pourraient être appliquées.
Mais, à l’inverse, il se pourrait qu’on puisse relâcher quelque peu l’exigence sur le coefficient balistique, ce qui conduirait à réduire les dimensions du corps portant et donc, efficacement, la masse de sa structure.
Choix sous-optimal pour la sécurité
Le choix du système de propulsion est très critique car, en cas de dysfonctionnement au freinage final à l’aller il conduit à la perte de l’équipage (il n’y a pas de mode secours !), et au retour, s’il empêche le décollage, il conduit au moins à la perte de mission, l’équipage pouvant cependant trouver refuge dans la colonie naissante. Le recours à la solution propulsive la plus simple, c’est-à-dire à des ergols hypergoliques (MMH, N2O4) alimentés par pressurisation serait a priori plus sûr. La perte de CU liée à ce choix serait cependant de 3 T ; peut-être est-il préférable de chercher à sécuriser la solution retenue, avec une ou plusieurs des dispositions suivantes : niveau de poussée autorisant le fonctionnement sur 3 moteurs, une seule turbopompe commune mais surdimensionnée, redondances des circuits d’alimentation et de commande des vannes et actuateurs…
Choix sous-optimal pour les performances
La trajectoire de Hohmann à l’aller, plus économique en propergol mais plus longue, a été écartée au profit de celle dite de libre retour, qui garantit un retour en cas de panne propulsive – en deux ans ! – tout en réduisant de 2 mois la durée d’exposition maximale (milieu interplanétaire) aux rayons cosmiques ionisants. Les conséquences sur les performances sont importantes, du fait que l’injection en transfert requiert une quinzaine de T d’ergols supplémentaires. Un transfert de Hohmann à l’aller permettrait de porter la CU à 22T, tout en relâchant les estimations des principaux postes de masse de l’ordre de 10% par rapport aux valeurs retenues ici.
Conclusion
Les incertitudes de cette approche obligent à considérer nos évaluations avec précaution, même si le bilan est encourageant quant à la cohérence technique. Espérons que les ingénieurs de SpaceX publient prochainement une véritable étude de projet, qui permettrait de se faire une opinion mieux étayée de ce concept de MCT. L’architecture pressentie conduit à une masse de charge utile de 17 tonnes, à comparer aux 33 tonnes qui seraient obtenues avec un vaisseau entièrement consommable appliquant la conception du projet NASA DRA5 (CU de 40 T pour une masse en entrée de 110 T, contre 92 T ici). Mais, en sus de la CU elle-même, le vol met également à disposition le moyen de retour sur Terre ! La comparaison des masses totales à expédier vers Mars est donc en fait à l’avantage de cette architecture « Super Direct », entièrement réutilisable, caractéristique propre aux yeux de SpaceX à révolutionner les conditions d’accès à la Planète rouge. Pour l’acheminement de cargo, l’utilisation d’un lanceur économique comme le Falcon Heavy, capable de déposer 5 T de CU sur le sol martien et lui-même récupérable, pourrait s’avérer compétitive. On peut aussi penser à confier le trafic cargo à une navette interorbitale automatique à propulsion électrique de puissance.
Beaucoup ont cru que les déclarations martiennes d’Elon Musk ne faisaient que traduire la lubie d’un illuminé. Mais il convient de reconsidérer ce jugement au vu des résultats de cet entrepreneur dans tous les domaines : innovations techniques, productions industrielles à grande échelle, succès des produits et services, conquête de nouveaux marchés, soutiens concrets de l’administration américaine et expansion rapide de la richesse créée.
Cette trajectoire est risquée, encombrée de pièges techniques et financiers, de concurrents et d’adversaires puissants ; mais c’est celle d’un aventurier qui nous fait rêver, car il ambitionne de réaliser, d’une façon révolutionnaire, ce qu’il proclame être le but de sa vie : permettre à l’homme de devenir un jour une espèce multiplanétaire, à la civilisation de s’ouvrir un nouveau champ d’activité. Nous avons des raisons d’espérer qu’il y parvienne.
Merci beaucoup pour cette synthèse passionnante qui permet de suivre une aventure exceptionnelle.
Merci pour cette superbe étude, et en français! Quel plaisir. J’ai vu sur des sites américain que le ravitaillement orbital faisait maintenant partie du concept, ce qui pourrait augmenter sensiblement les charges utiles sans compromettre vos idées. Une option de propulsion solaire électrique pour réduire les temps de transfert seraient également à l’étude, selon les affirmation de la ceo de spacex. Je vais immédiatement voler les précieuses informations sur la rentrée atmosphérique martienne pour améliorer mon propre, modeste et amateur petit système de transport colonial. Merci et je vous souhaite bien des commentaires intéressants
Michel lamontagne
J’ai voulu voir ce que donnait une solution avec le moins de « modules » et d’opérations orbitales, et entièrement récupérable. Mais on voit bien qu’on atteint des dimensions peu réalistes… Oui, le ravitaillement orbital permettrait de réduire les tailles, mais augmenterait le nb de lancements et la complexité des opérations. Ce sera peut-être une obligation. Pour la prop électrique, vu les masses de vaisseau, je n’y crois pas trop (il faudrait de grosses puissances…).
Merci pour vos réflexions.
On m’a fait la remarque, quand je l’ai proposé sur un autre site, qu’un lanceur a trois corps n’est pas si simple non plus. Il faut reconnaitre que les manoeuvres orbitales ont aidé a atteindre la Lune, par exemple. Mais je reconnais que le transfert de grandes quantités de carburant en orbite reste un inconnu de taille. Cependant, je me demande si Falcon Heavy, avec son transfert de carburant en vol n’est pas un essai précuseur de la part de SpaceX, dans l’optique de travail qu’ils semblent avoir depuis leurs début, financer la recherche avec des activités lucratives…