Maintenant que l’on sait où le rover Curiosity a atterri, on peut parler de l’étape suivante : l’exploration de l’environnement. Pour mieux vous situer, nous avons traduit deux notes de la NASA et complété par quelques indications concernant la géologie du lieu. Bonne lecture !
Pierre Brisson
1) Note de la NASA 2012-090 du 28 Mars 2012 :
Le Mont Sharp relie le passé et le futur géologiques de la planète Mars.
Auteur : D.C. Agle
Jet Propulsion Laboratory, Pasadena, Calif.
agle@jpl.nasa.gov
Traduction de Pierre Brisson
Une certaine montagne, plus haute que la plus haute du Colorado, a fait signe aux explorateurs en puissance depuis qu’elle a été aperçue pour la première fois depuis de l’orbite martienne dans les années 1970. Les scientifiques ont quelques idées sur la façon dont elle s’est formée au milieu du vieux cratère Gale, et des espoirs quant aux preuves qu’elle pourrait donner sur d’éventuelles conditions ayant favorisé la vie sur Mars.
Aucun projet d’exploration n’avait osé envisager de l’approcher cependant, jusqu’à la mission Mars Science Laboratory de la NASA, qui tentera ce mois d’août de placer Curiosity, son rover d’une tonne, au pied de la montagne. L’arène de terrain plat entre la montagne et le bord du cratère qui l’encercle était une cible trop petite pour qu’elle puisse avoir été considérée suffisamment sûre, jusqu’aux innovations de cette mission permettant un atterrissage précis.
Pour focaliser les discussions sur la façon dont Curiosity étudiera la montagne au cours d’une première tranche d’exploration de deux ans après atterrissage, l’équipe scientifique internationale de la mission a décidé de lui donner le nom de « Mont Sharp ». Cette appellation informelle rend hommage au géologue Robert P. Sharp (1911-2004), l’un des fondateurs de la planétologie, mentor très influent de nombreux dirigeants actuels dans ce domaine et membre des équipes de la NASA pour les premières missions martienne. Sharp a enseigné la géologie au California Institute of Technology (CalTech) à Pasadena, de 1948 jusqu’après sa retraite. Le magazine Life l’a nommé l’un des dix meilleurs professeurs d’université du pays.
« Bob Sharp a été l’un des meilleurs géologues de terrain que ce pays ait jamais eus », a déclaré Michael Malin, de la société Malin Space Science Systems, à San Diego, principal responsable scientifique de deux des 10 instruments de Curiosity et ancien élève de Sharp.
« Nous ne connaissons pas vraiment les origines du Mont Sharp, mais on a des idées pour savoir comment y aller et tester nos théories et c’est exactement ce que Bob aurait voulu », a déclaré Malin.
Edward Stolper, du Caltech, ancien responsable scientifique de la mission Mars Science Laboratory, a déclaré: « Durant la plus grande partie de ses 50 années et plus au Caltech, Bob Sharp a été la figure centrale des programmes en sciences géologiques et planétaires. Une de ses contributions majeures a été la construction d’un programme en planétologie fermement enracinée dans les principes et les approches des sciences géologiques. »
« De plus, grâce à son propre travail dans le cadre des premières missions du Jet Propulsion Laboratory à destination de Mars et grâce à celui de ceux qu’il a influencés, il a également eu une influence majeure sur la planétologie et l’exploration au JPL. La reconnaissance de ce chercheur et de ce leader remarquable par l’attribution de son nom au Mont Sharp est tout à fait justifiée et j’espère que cela servira à perpétuer son héritage. »
(NdT : on ne peut pas faire les mêmes compliments sur la personne qui a donné son nom au cratère, Walter Frederick Gale, astronome australien (1865 / 1945) qui « découvrit » des oasis et des canaux sur Mars en 1892).
« Le vaisseau spatial de la mission Mars Science Laboratory a été lancé le 26 novembre 2011, et il doit atterrir à côté du mont de Sharp à l’intérieur du cratère Gale dans la soirée du 5 août PST (au matin du 6 août en Temps Universel). La mission sera d’utiliser Curiosity pour vérifier si la zone a jamais offert des conditions environnementales favorables à la vie microbienne, y compris les ingrédients chimiques pour la vie et l’énergie pour la vie.
Le Mont Sharp s’élève à environ 5 km au-dessus de la cible d’atterrissage sur le plancher du cratère, plus haut que le mont Rainier au-dessus de Seattle, et encore ce Mont Sharp est bien plus massif et plus proche. Ce n’est pas simplement un « pic de rebond » de l’impact d’astéroïde qui a excavé le cratère Gale. Il existe peut-être un tel pic à la base de la montagne, mais celle-ci présente en plus des centaines de couches géologiques qui peuvent être lues comme autant de chapitres d’une histoire complexe de plusieurs milliards d’années.
Deux fois plus haut que la séquence de bandes colorées exposées dans le Grand Canyon de l’Arizona, l’empilement de couches dans le Mont Sharp résulte de l’évolution des environnements dans lesquels elles se sont déposées, les plus jeunes au-dessus des plus anciennes, les millénaires après les millénaires, et ensuite de leur érosion.
Plusieurs cratères sur Mars contiennent des buttes ou des mesas qui se sont formées de façon similaire au Mont Sharp, et de nombreux autres anciens cratères restent emplis par ou enfouis sous des strates de roches déposées après leur formation. Quelques exemples, y compris Gale, contiennent un mont plus élevé que le bord du cratère qui l’entoure, ce qui indique que ces monts sont des masses résiduelles à l’intérieur de cratères autrefois complètement remplis. Cela pose des questions sur la façon dont les conditions environnementales ont évolué sur Mars.
« Cette famille de cratères qui ont été remplis ou enfouis puis exhumés ou partiellement exhumés interroge sur ce qui s’est passé » déclare Ken Edgett, de Malin Space SciencesSystems, responsable scientifique de l’un des instruments de Curiosity. « Pendant longtemps, les matériaux sédimentaires sont entrés dans le cratère et y sont restés. Puis, après qu’ils se soient durcis en roches, celles-ci ont été érodées et transportées en dehors du cratère ».
Certaines couches inférieures du MontSharp pourraient témoigner d’un lac dans le cratère Gale il y a très longtemps, ou de sédiments éoliens ensuite gorgés d’eau souterraine. Les orbiteurs ont cartographié des minéraux révélateurs de roches hydratées dans ces couches. L’eau liquide est un point de départ pour décrire des conditions favorables à la vie, mais juste le début de ce que sur quoi Curiosity est à même d’enquêter. Les couches supérieures peuvent être des dépôts de poussière soufflée par le vent, après le grand dessèchement de Mars.
« Le Mont Sharp est le seul endroit accessible sur Mars où l’on peut étudier cette transition dans une séquence stratigraphique», déclare John Grotzinger, responsable en chef pour Mars Science Laboratory au CalTech. « L’espoir de cette mission est de trouver des preuves d’un environnement habitable, la promesse est d’obtenir l’histoire d’un point d’inflexion important de l’histoire ancienne de l’environnement de la planète. Cette transition s’est probablement produite il y a des milliards d’années – peut-être même avant les roches les plus anciennes préservées sur Terre. »
Les explications possibles de la façon dont l’érosion a modelé la montagne, après que les couches sédimentaires aient été déposées, comprennent celles de vents tourbillonnants dégarnissant les côtés et peut-être plus tard des épisodes humides laissant des chenaux sur les flancs de la montagne et des sédiments plus récents au fond du cratère. De tels indices sur ces épisodes offrent à Curiosity d’autres environnements potentiellement habitables à examiner.
2) Présentation par la NASA de la géographie physique de la zone d’atterrissage.
Traduction de Pierre Brisson
La localisation de la zone d’atterrissage de Curiosity (doc. NASA/JPL-Caltech)
Le point d’atterrissage de Curiosity au pied du Mont Sharp/Aeolis Mons. (doc. NASA/JPL-Caltech/ESA/DLR/FU Berlin/MSSS)
La zone d’atterrissage de Curiosity par l’instrument Themis de Mars Odyssey. (Doc. NASA/JPL-Caltech/ASU)
La zone où le rover Curiosity de la NASA atterrira le 5 août PDT (6 août GMT) présente une diversité géologique que les scientifiques sont impatients d’étudier, comme on le voit sur cette carte en fausses couleurs établie sur la base de données recueillies par l’orbiteur Mars Odyssey. L’image a été obtenue par l’instrument Thermal Emission Imaging System (« THEMIS ») embarqué à bord de l’orbiteur. Pour chaque endroit étudié, il fusionne les données topographiques avec les données d’inertie thermique qui expriment la capacité de la surface à conserver la chaleur. L’ovale jaune donne l’ellipse de la cible d’atterrissage de Curiosity. Un cône alluvionnaire est visible autour d’un cratère au nord-ouest de l’aire d’atterrissage. Une série de lignes ondulées voyageant vers le sud-est du cratère indique un matériau similaire descendant une pente. Le matériau, qui apparaît bleu-vert dans cette image, constitue également un éventail. Une zone en rouge indique un matériau de surface qui est plus étroitement agrégéque les roches qui l’entourent. Elle contient probablement une concentration élevée en minéraux. Une interprétation intéressante pour cette texture est que l’eau ait été présente dans le passé. Curiosity doit atterrir dans le vaste cratère Gale. Le rebord d’un cratère plus petit (environ 1 km de diamètre) à l’intérieur de Gale est visible en bas à droite de l’image.
3) Note de Pierre Brisson : Géologie du cratère Gale
Le rover Curiosity a idéalement atterri dans l’ellipse prévue, au plus près du chemin qui doit lui permettre d’explorer les différentes strates formant le Mont Sharp.
Auparavant, la région du fond du cratère sera intéressante à étudier car, quelle que soit la nature de la roche, elle a évidemment connue une période humide. Curiosity pourra commencer son exploration en allant en direction opposée du Mont où il pourra examiner une zone de delta alluvionnaire provenant des bords du cratère (situés à une vingtaine de km). Il pourra ensuite, en allant dans l’autre sens, traverser une zone qui apparait très foncée (dunes de poussière) dans les vues prises des satellites. En fait il y a à cet endroit également des bandes claires et le matériel de celles-ci (réduit en sable) pourrait provenir des strates de roches hydratées (voit plus loin). Le dessin des dunes pourra en outre renseigner sur le régime des vents et la force du vent pourra être analysée en fonction du type de sable pour évaluer sa capacité érosive.
Ensuite, à environ 4km au Sud, en direction du Mont Sharp,Curiosity commencera son escalade en empruntant le cheminement d’un canyon qui facilitera sa progression et lui permettra d’examiner sur ses deux parois les strates traversées. C’est là, tout au début de cette ascension, que se trouvent les terrains les plus intéressants, les argiles (roches sédimentaires formées dans l’eau liquide).
Plus haut, remontant dans le temps, de l’époque la plus ancienne, le Noachien (ou Phyllosien) à l’Hespérien (ou Theiikien), le rover pourra examiner les sulfates (roches formées sous une atmosphère riche en soufre, probablement par percolation d’eau du sous-sol).
Les roches suivantes (strates plus élevées) seront moins intéressantes car relevant d’une époque plus récente ou l’eau n’a plus eu qu’un rôle épisodique sous une atmosphère extrêmement raréfiée.
NB : Phyllosien (âge des phyllosilicates) qui se réfère à la présence d’argiles et Théiikien (âge des sulfates) sont les noms à connotation géologique alternativement proposés par le Professeur Jean-Pierre Bibring d’après les données recueillies par l’orbiter MarsExpress. Les époques géologiques ainsi dénommées ne se recoupent pas exactement, celles proposées par Jean-Pierre Bibring étant plus courtes (jusqu’au Grand bombardement tardif soit environ -4 milliards d’années, pour le Phyllosien puis jusqu’à la fin du volcanisme le plus actif et la fin des rejets massifs de soufre dans l’atmosphère pour le Théiikien). On arrive ainsi vers -3,75 milliards d’années contre -3,5 milliards d’années pour la fin de l’Hespérien.
Caractéristiques géologiques de la zone d’atterrissage avec, en orange, le trajet visé pour le rover dans les mois à venir. Clays signifie argiles. Pour atteindre le pied de la montagne le rover devra traverser la zone des dunes sombres. (Doc. NASA/Milliken/Anderson and Bell/Ryan Anderson)