Le 5 juin 2008 s’est déroulée dans les locaux du Palais Bourbon une journée consacrée aux perspectives de l’Europe spatiale. A la veille d’une conjonction de circonstances déterminantes : présidence française de l’Union Européenne, conférence ministérielle de l’ESA du mois de novembre, élection présidentielle américaine, et dans le contexte désormais solidement établi et reconnu de l’Exploration spatiale, la portée et la signification politique de cet événement ne saurait être sous-estimée. Les chefs des agences française, allemande, italienne, européenne et américaine s’étaient déplacés, ainsi que la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le président du Groupe Parlementaire de l’Espace et plusieurs parlementaires, les présidents des principaux industriels concernés (Safran, Thalès, Astrium) et un astronaute (Jean-François Clervoy). Une assemblée qu’on a rarement l’occasion de voir débattre à ce niveau !
La journée était découpée en cinq « tables rondes » dédiées aux principaux domaines de l’activité spatiale : les services spatiaux, l’accès à l’Espace, l’Exploration, la gouvernance spatiale européenne. Eh ! oui, l’Exploration est bien désormais reconnue comme un des domaines-clefs de notre avenir spatial ! Il n’est pourtant pas si loin le temps où ceux qui en soulignaient l’impérieuse nécessité étaient qualifiés de nostalgiques ou de rêveurs… A noter d’ailleurs qu’on ne parle plus, à propos des services, « d’espace utile », terme à la mode il y a peu encore, et qui pouvait laisser entendre que la science était un luxe. D’ailleurs, Paul Weissenberg lui-même, le Directeur de la Commission Européenne en charge de l’Espace, a relevé que le mot « utilisateur » était diminutif, négatif…
Le discours liminaire de la ministre Valérie Pécresse a repris, en les appuyant, les lignes de force du discours présidentiel de Kourou :
-l’Espace, un outil dont l’Europe a le devoir de se saisir pour accroître son influence mondiale, œuvrer pour la paix et le développement, et bâtir son unité et son identité ;
-un des thèmes majeurs de la présidence française de l’UE ;
-l’Exploration, un rêve qui n’est pas un luxe ;
-la conquête spatiale nous fait entrer dans un nouveau monde : « voici que commence en effet le temps des explorateurs ».
* le discours complet : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid21414/ouverture-du-colloque-l-espace-au-service-des-citoyens-europeens.html
Michael Griffin prononce son discours dans le cadre prestigieux de la galerie des fêtes de l’hôtel de Lassay.
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Après les deux premières tables rondes du matin, consacrées aux services spatiaux et à l’accès à l’espace, le thème de l’Exploration a été introduit au niveau le plus haut et le plus pertinent par le patron de la NASA lui-même, Michael Griffin, dont on connaît l’engagement dans la conduite et la défense du programme. Dans le décor prestigieux des ors de la République, il a prononcé un long discours axé principalement sur la coopération internationale, indispensable compte tenu de l’ampleur et des enjeux de l’entreprise.
La coopération, a-t-il insisté, est recherchée par les États-Unis, et l’Europe, avec le succès de l’ATV, vient de démontrer qu’elle a la capacité de s’intégrer dans un grand programme de vols habités. Il estime peu probable que les États-Unis ne continuent pas à utiliser la Station Spatiale après 2016.
Nul doute que la signification politique de cette visite exceptionnelle et de l’accent mis sur la coopération répond au souci de la NASA de consolider le programme Constellation à l’approche du prochain changement d’administration. Mike Griffin est également revenu sur les motivations de son pays pour l’Exploration : l’Espace est un environnement stratégique pour les États-Unis et l’Exploration un outil pour dynamiser la société. Les enjeux dépassent donc largement la science. Dans cet effort, la Lune s’impose à ses yeux comme première étape, mais Mars constitue d’évidence l’objectif suivant ; Mars est la destination ultime de l’Homme pour ce siècle.
* le discours complet : http://www.nasa.gov/pdf/239405main_french_assembly.pdf
La première table ronde de l’après-midi, celle dédiée à l’Exploration, était présidée par Alain Gournac, Sénateur, Vice-président du Groupe parlementaire sur l’Espace. Elle réunissait : Michel Blanc, Directeur Général adjoint chargé de la Recherche à l’Ecole Polytechnique, Catherine Cesarsky, Présidente de l’Union Astronomique Internationale, Jean-François Clervoy, Astronaute de l’ESA, Henri Revol, Sénateur (et ex-président du groupe parlementaire de l’Espace) et Daniel Sacotte, Directeur des programmes vols habités, microgravité et exploration de l’ESA, toutes personnalités qui connaissent l’action de Planète Mars (et que nous avons eu la grande chance de déjà rencontrer en d’autres circonstances).
Voici ci-après quelques points relevés dans les échanges de cette table ronde.
Aspects politiques :
-L’Espace est un constructeur d’Europe, un creuset pour forger l’identité du citoyen européen, et un outil pour développer l’appétence pour les sciences et les techniques.
-Alors que les États-Unis et la Chine ont affiché leurs ambitions dans l’Espace, peut-on imaginer de voir l’Europe ne pas y être ?
-Mais l’Europe n’aura pas de rôle majeur dans l’Exploration si elle ne possède pas la capacité d’accès de ses astronautes à l’Espace.
-Il faut veiller à intégrer les nouveaux entrants de l’UE dans les programmes spatiaux.
Motivations :
-Quatre facteurs : compétitivité, inspiration, identité, stratégie. Besoin pour une société et pour l’Homme de repousser ses limites.
-Le rêve est un service que l’on doit aussi au public.
-Globalement, l’Exploration offre un faisceau d’enjeux scientifiques et techniques qui en fait un outil de communication idéal.
La véritable nature de l’Exploration :
-Ce n’est pas de la science, mais il n’y a pas d’Exploration sans science ; idem pour la technologie, pour l’influence internationale, et pour les enjeux stratégiques.
-Compte tenu des coûts impliqués, il est indispensable que le projet soit porté par la société.
-Explorer, c’est aller plus loin : on est allé sur la Lune, il faut donc aller sur Mars. Mais ce n’est pas ce qui définit les véritables enjeux ; ceux-ci résident dans le chemin à tracer et dans les conséquences de l’accomplissement.
La Lune et Mars :
-La Lune fait partie de la feuille de route, mais pour aller au-delà ; le but doit être suffisamment lointain.
-Au niveau scientifique, le spectre des motivations est beaucoup plus large et riche dans le cas de Mars que de la Lune. Les scientifiques (en grande majorité) veulent travailler sur Mars ; pour eux, la Lune n’est pas une priorité
-Par ailleurs, Mars présente l’avantage de posséder toutes les ressources d’un monde habitable.
-Retourner sur la Lune a naturellement une signification pour des Américains, pas pour l’Europe.
-Les perspectives d’exploitation, défendues par certains partisans d’un effort centré sur la Lune : aucun business plan quelque peu crédible n’a émergé. Rien de sérieux n’est apparu jusqu’à présent.
Quelle contribution de l’Europe à moyen terme ?
L’Europe doit se préparer, de façon raisonnable, en poursuivant dans l’immédiat l’exploration robotique (avec les programmes de rover ExoMars, puis Retour d’Echantillons). Elle doit travailler sur des créneaux technologiques d’excellence, afin de devenir un partenaire « incontournable ».
Elle devrait aussi développer ses propres moyens de vol habité, mais à la condition que ce soit dans un but de coopération, pas de compétition. L’idée est d’offrir au système Constellation américain une redondance en cas d’immobilisation temporaire, comme cela s’est produit avec Soyuz lorsque la Navette a été clouée au sol. Les acquis que représentent Ariane 5, l’ATV et la capsule expérimentale ARD devraient lui permettre d’atteindre cet objectif.
En ce qui concerne la France, l’Exploration sera un des quatre thèmes qu’elle soumet à l’Europe, avec : Espace et changement climatique, Espace et sécurité défense, Espace et société de la connaissance. La question qui va être posé à nos partenaires européens, dès la réunion proposée en juillet à Kourou est : jusqu’où êtes-vous prêts à relever les défis ?
La cinquième et dernière table ronde, au cours de laquelle tous les patrons d’agence présents se sont exprimés, portait sur la question fondamentale de la « gouvernance » de l’Europe en matière spatiale. Tout en permettant de montrer la complexité de la situation, et les difficultés liées à l’insuffisance des efforts budgétaires (en comparaison de celui des Américains), elle a permis de mettre en relief les atouts dont nous disposons : une nouvelle constitution (peut-être ?) attribuant explicitement la compétence spatiale à l’Union, une agence européenne performante, une industrie structurée et compétitive au plan international. La conjonction de la présidence française de l’Union et de la conférence ministérielle de l’ESA du mois de novembre peut nous laisser espérer des avancées significatives. Le pouvoir politique en France et l’ensemble des acteurs présents lors de cette journée se sont en tout cas exprimés dans ce sens.
Richard Heidmann