Par Robert Zubrin ; 21 juillet 2014
(traduction Pierre Brisson)
Récemment, un comité consultatif réuni par le Conseil National de la Recherche américain (« NRC ») a publié un rapport intitulé «Les chemins de l’exploration » appelant à la réorientation des programmes de vols habités de la NASA. Le rapport est rédigé dans un jargon bureaucratique plutôt abscons et par conséquent, pour rendre service au public, je vais en faire ci-après un bref résumé en langage courant.
Le rapport du NRC se traduit comme ceci : La NASA doit construire une base lunaire.
Les auteurs du comité de la NRC ne présentent jamais cela comme leur conclusion. Ils tentent plutôt d’induire le lecteur à la tirer par lui-même, en passant par la logique « subtile » suivante:
1. La NASA a besoin d’un but précis et motivant pour son programme de vols habités et cet objectif doit être l’exploration de Mars par vols habités.
2. Il y a trois chemins pour amener des hommes sur Mars:
(a) Effectuer d’abord une Mission de Redirection d’Astéroïde (ARM) ; envoyer ensuite des hommes sur Phobos puis envoyer des hommes sur Mars.
(b) Construire une station spatiale au point de Lagrange L2 puis envoyer des astronautes sur la Lune. Ensuite, envoyer des astronautes sur des astéroïdes proches de la Terre puis envoyer des astronautes sur Phobos. Enfin, envoyer des hommes sur Mars.
(c) Construire une base lunaire puis envoyer des hommes sur Mars.
3. Les options (a) et (b) n’ont aucun sens. Alors, choisissez l’une des options restantes.
Je dois avouer que, présenté avec ces « alternatives », le chemin via la Lune semble très attrayant.
Je vais faire une revue critique de ce rapport, mais avant cela, je tiens à souligner certains endroits qui comportent des remarques vraiment justes.
En premier lieu (c’est le point « 1 »), écrire que la NASA ait besoin d’un but précis et motivant pour son programme de vols habités, et que cet objectif devrait être l’exploration de Mars par vols habités, est correct. En outre, les auteurs de la NRC ont rendu un grand service en disant clairement qu’un tel programme, avec un objectif précis, est incompatible avec la méthodologie actuelle de la NASA qui consiste à développer des technologies sur la base d’un soutien bureaucratique à telle ou telle circonscription puis à sélectionner des missions en fonction de leurs capacités à fournir de prétendues justifications à des programmes technologiques choisis sur cette base irrationnelle. Ils impliquent aussi, à raison (même si cela est dit un peu trop poliment pour que ce soit clair), que la mission ARM a été choisie de cette façon, puisque son but principal est de fournir un client à un système de propulsion électrique de forte puissance qui serait autrement inutile.
C’est aussi du bon travail de montrer que l’option (a) qui aujourd’hui est malheureusement le programme de référence de la NASA, et l’option (b) qui en est une alternative parfois présentée, sont très déficientes en tant que voies possibles pour aller sur Mars, puisqu’elles impliquent toutes deux des opérations et des développements technologiques importants qui n’ont rien à voir avec l’objectif final. Ces auteurs ne fournissent évidemment pas de critique convaincante de Phobos comme étape sur le chemin de Mars, mais je peux ici corriger cette omission. L’idée d’utiliser Phobos comme base pour les opérations d’exploration de Mars est absurde parce que Phobos est sur une orbite circulaire équatoriale qui restreint l’accès aux seules régions équatoriales de Mars et parce que, même si on s’y installe, cela impose une lourde charge logistique aux missions de surface. Plus précisément, s’arrêter sur Phobos en chemin vers la surface de Mars, ajoute un delta-V de 2,14 km par seconde à la mission, et s’arrêter sur Phobos sur le chemin du retour vers la Terre ajoute encore 1,67 km par seconde, soit un total, dévastateur, de 3,81 km par seconde aux besoins de propulsions de la mission. Mais en réalité, ces données que les auteurs de la NRC omettent, renforcent fortement leur argument principal selon lequel il ne faut pas inventer de missions inutiles dans le but de tenter de justifier des décisions irrationnelles précédentes – comme l’on pousse maintenant à l’établissement d’une base sur Phobos pour essayer de concocter la pertinence d’une mission ARM pour l’exploration de Mars.
Le rapport du NRC rend un autre service d’intérêt général en rejetant d’emblée les fausses allégations de certains fanatiques de la propulsion électrique selon lesquelles leur projet favori offrirait une technologie rendant possibles les voyages rapides vers Mars. En outre les auteurs proposent un principe utile pour un programme de vols habités avec objectif, à savoir que dans notre univers réel de capacités financières limitées de la NASA, il ne faut pas s’engager dans des programmes de vols habités importants qui n’ont rien à voir avec l’objectif. Malheureusement cependant, ils ne suivent pas eux-mêmes cette logique solide et ne demandent pas la redirection du financement international de la station spatialevers le programme d’exploration lunaire qu’ils souhaitent (en dépit de la non-pertinence totale de l’ISS pour les missions lunaires) abandonnant ainsi leur base lunaire de papier à l’univers de l’imaginaire.
Mais le problème le plus grave que pose le rapport de la NRC est la façon dont les auteurs évitent de discuter sérieusement de la véritable alternative. Si notre but est d’envoyer des hommes sur Mars, et puisque nous comprenons que nous engager dans des activités de diversion serait contre-productif vis-à-vis de cette réalisation, nous devrions envoyer des êtres humains sur Mars au lieu de nous engager dans des activités de diversion. Les auteurs veulent cependant construire et exploiter une base lunaire et, pour acheter du temps pour un tel effort (plusieurs décennies), ils lancent plusieurs défis qui, d’après eux, devraient être résolus avant qu’un programme habité martien puisse être initié. Ce sont:
L’entrée dans l’atmosphère, la descente vers la surface et l’atterrissage sur Mars (« Entry, Descent, Landing » ou « EDL ») ;
De nouveaux modes de propulsion et de génération d’énergie ;
Une protection efficace contre les radiations.
La création de systèmes d’EDL qui puissent déposer de grosses charges utiles sur Mars et de systèmes nucléaires de génération d’énergie qui puissent fournir 30 à 100 kWe (kilowatts de puissance électrique) en surface de Mars, sont certes des développements importants qui devront être faits mais ce ne sont pas des problèmes technologiques fondamentaux. Ils seront faits dans le cadre d’un programme de développement de l’exploration de Mars par vols habités et non en dehors de celui-ci. L’affirmation qu’une propulsion avancée est un défi fondamental pour le programme martien est surprenante car, comme indiqué ci-dessus et à raison, les auteurs rejettent la propulsion électrique comme moyen d’atteindre un résultat vraiment intéressant. Ils approuvent donc implicitement la propulsion nucléaire thermique. Cependant, bien qu’elle représente une amélioration technologique utile, la propulsion thermique nucléaire servirait plus utilement à réduire la masse au lancement de moitié plutôt qu’à réduire substantiellement le temps du trajet. Sa pertinence propre est donc un moyen potentiel de réduire les coûts aval d’un programme continu d’exploration, plutôt qu’un panneau d’avertissement en amont, perpétuellement rappelé comme une prérequis insatisfait pour bloquer le lancement d’un tel programme.
Par ailleurs, invoquer «la protection contre les radiations» comme défi technologique à maîtriser avant que l’on puisse entreprendre un programme Martien, introduit une confusion totale dans le projet. Indépendamment du mode de propulsion choisi, chimique ou nucléaire thermique, le voyage aller d’une mission martienne proprement structurée, devrait durer six mois parce que cela induit une orbite de libre retour de deux ans. Essayer d’aller plus vite compromettrait encore davantage la sécurité de la mission en faisant perdre cette importante option d’abandon, en plus de réduire la capacité de charge utile et donc la redondance de systèmes essentiels. La dose cumulée de radiations cosmiques galactiques que les équipages d’exploration martiens recevraient est bien connue, irréductible (on peut se protéger des éruption solaire pendant le voyage en utilisant un abri de tempête) et (puisque les doses de radiation en orbite basse terrestre sont égales à 50 % de celles de l’espace interplanétaire) une demi-douzaine de cosmonautes ou astronautes qui ont fait des séjours prolongés soit à bord de l’ISS, soit à bord de Mir, les ont déjà subies sans qu’on ait connu aucun décès pour cause de radiations. C’est ce à quoi on doit s’attendre car la dose totale de rayons cosmiques galactiques pour une mission aller et retour de 0,6 à 0,8 sievert représente un taux de décès probable d’environ 1 pour cent. En outre, puisqu’une mission martienne implique une durée de voyage d’environ seulement 40 pour cent du total de la mission (avec une masse de protection disponible infinie quand on se trouve à la surface de Mars) et que la taille de l’équipage serait comparable à celle de l’ISS, la dose totale, mesurée en sieverts/personnes, que le programme de l’ISS (en permanence occupé) imposera à ses équipages au cours des 10 prochaines années sera le même que celui qui serait imposé au personnel d’un programme d’exploration habité de Mars, en supposant qu’il comporte cinq missions avec un vol à chaque fenêtre bi annuelle de lancement sur cette même période.
Donc, l’argument selon lequel nous devrions reporter l’exploration de Mars par vols habités d’une vingtaine d’années pendant que les scientifiques s’impliquent dans une recherche improductive pour nous « protéger des radiations », qui ne produira rien que l’on ait déjà découvert tout au long des sept décennies déjà consacrées à ce sujet, est un argument fallacieux, du type que pourrait avancer un gamin de 10 ans pour demander, afin que la sécurité de tous les enfants soient préservée, que tous soient dispensés d’école à l’occasion d’une légère chute de neige durant la nuit. La principale différence étant que, avec un programme de vols habités qui coûte quelques 10 milliards de dollars par an, deux décennies de jour de neige de la NASA, coûterait quelque chose comme 200 milliards de dollars supplémentaires avant que Mars puisse être atteint.
L’initiative lunaire des auteurs de la NRC doit être reconnue pour ce qu’elle est. C’est le second meilleur plan, celui du « faute de mieux ». Il est bien meilleur que celui, loufoque, de la NASA aujourd’hui qui conduirait notre programme de vols habités à ne rien accomplir de significatif dans la prochaine décennie ou même plus. Une base lunaire n’est pas une étape essentielle sur le chemin de Mars mais ce serait un véritable accomplissement et il serait certainement mieux pour la NASA de réaliser quelque chose plutôt que rien.
Ces mêmes auteurs ont également raison de dire que la NASA doit choisir un objectif et s’y tenir. Le programme Constellation de George W. Bush / Mike Griffin peut facilement être critiqué mais si on s’y était tenu, on serait aujourd’hui en train d’envisager de lancer des opérations sur la Lune pour dans cinq ans, en y employant nos astronautes comme explorateurs, comme il se doit, au lieu d’avoir en perspective un avenir d’expériences interminables utilisant des astronautes coincés en orbite basse terrestre en tant que sujets d’observation humains, pour des recherches inutiles sur les effets médicaux de la gravité zéro qui pourrait être évitée par la rotation d’un vaisseau spatial.
Si on veut aller sur Mars, c’est Mars qu’on doit viser.
Je commente volontiers ce document de Robert Zubrin que je viens de traduire pour vous dire, cher lecteur, que moins que jamais il ne faut « baisser les bras » et se laisser « amollir » par les « sirènes » qui vous disent qu’aller sur Mars n’est pas si pressé et que de toutes façons il faut passer par toutes sortes d’étapes intermédiaires avant d’entreprendre le Grand Voyage.
Ce n’est pas vrai.
Tous ces obstacles prétendus « ne tiennent pas la route ». Ce sont des complications inutiles. Comme le conclue Robert Zubrin, si l’on veut aller sur Mars, il faut tout simplement décider d’y aller et mettre cette décision à exécution.