Texte de Robert Zubrin (version originale en anglais) . Traduction Pierre Brisson
Dans un article intitulé « Ce qui arriverait à votre cerveau à l’occasion d’une mission martienne », publié le 2 mai dans la revue à libre accès (« open access ») « Science Advances », un groupe de chercheurs spécialisés dans les radiations affirment que leurs travaux récents ont montré que des souris perdaient la mémoire suite à l’administration de très fortes doses de rayonnements de haute énergie semblables à des rayons cosmiques galactiques (GCR). Ils en déduisent que cela a de graves implications pour l’exploration de Mars par vols habitées. Selon les auteurs, des effets semblables pourraient sérieusement affecter les astronautes allant vers la planète rouge, mettant ainsi sérieusement en question la faisabilité d’une telle entreprise.
En fait cependant, l’étude n’a aucune pertinence concernant l’exploration de Mars par vols habités, car les doses d’irradiation infligées aux malheureux sujets de recherche n’ont pas de relation avec ce qui serait vécu par des astronautes en route vers Mars. La différence principale est que le débit auquel les doses ont été administrées aux souris sous étude était 4 millions de fois plus rapide que celui auquel les voyageurs seraient soumis dans l’espace interplanétaire.
En outre, la dose cumulée totale à laquelle les souris étaient soumises sur une période de 30 secondes était environ 50% supérieure à la dose de GCR que les astronautes recevraient au cours d’une mission vers Mars de 2 ans 1/2.
Les chiffres clés en question sont les suivants: dans l’expérience des souris, les victimes ont reçu une dose de 30 rads (0,3 gray) à un débit de 100 rads par minute. Durant une mission martienne, les astronautes pourraient recevoir une dose de 1 rad par mois pendant chacun des deux transferts de 6 mois (aller et retour) et environ 0,5 rad par mois pendant les 18 mois de séjour sur Mars, soit un total de 21 rads(1 gray = 100 rad = 100 cgray). Pour les GCR, 1 Gray = 6 sieverts = 600 rem.On peut trouver les débits de doses de radiations spatiales dans « The Cosmic Ray Radiation Dose in Interplanetary Space–Present Day and Worst Case Evaluations » par R.A.Mewaldt, et al, 2005.
La différence de 4 millions de fois en débit de doses, entre l’étude en laboratoire intitulée « Ce qui arriverait à votre cerveau lors d’une mission martienne » et un vol spatial est d’une importance critique. C’est un résultat bien connu en toxicologie chimique et radiative,que les effets de fortes doses de toxines administrées en une seule fois sont tout à fait différents des effets de la même quantité de toxines administrée en très petites quantités sur une longue période de temps. La différence est que les systèmes d’autoréparation de l’organisme ne peuvent pas faire face à une dose ponctuelle alors qu’ils peuvent gérer facilement la même quantité si elle est reçue sur une période longue. Par exemple, si une personne devait boire un verre de vodka par seconde pendant 100 secondes, elle mourrait. Mais si la même personne buvait un verre de vodka par mois pendant 100 mois, elle ne ressentirait aucun effet négatif. Cela représente à peu près le même rapport de débits de doses que celui qui existe entre le travail incorrect rapporté dans le document «Ce qui arriverait à votre cerveau lors d’une mission martienne. » (1,6 rad par seconde) et ce qui serait vécu par des astronautes dans l’espace (1 rad par mois.)
Il est choquant que les auteurs de la recherche aient négligé de mettre leurs lecteurs en garde sur la signification de leurs résultats, en admettant ces différences. De plus ils ont enfoui les informations sur les débits de doses réels employés dans les profondeurs du document (on peut les trouver dans le milieu d’un paragraphe vers la fin du texte intitulé «Animaux, rayonnement d’ions lourds, et récolte de tissus »). Les auteurs de vulgarisation scientifique peuvent ainsi facilement manquer l’information, ce qui peut les conduire à rapportersans précaution les conséquences prétendument sensationnelles de ces travaux hors de propos.
Il est vrai que de petites quantités de toxines reçues par une personne sur une longue période peuvent statistiquement augmenter les risques d’effets néfastes. Cependant, nous avons déjà des données qui montrent que l’accumulation de faibles taux de rayonnements cosmiques reçus pendant des vols de longue durée ne serait pas un obstacle dirimant pour l’exploration humaine de Mars. Les débits de doses de radiations de GCR en orbite basse de la Terre sont environ la moitié de ceux que l’on reçoit dans l’espace interplanétaire. Il y a ainsi une demi-douzaine de cosmonautes et d’astronautes (Avdeev, Polyakov, Soloviev, Krikalyov, Foale, Walz, Lucid) qui ont déjà reçu au cours de missions spatiales de longue durée, des doses de GCR équivalentes à celle d’une mission martienne, sans qu’il y ait eu parmi eux de victime de radiations. En outre, puisque la Station Spatiale Internationale (ISS) est continuellement habitée, alors que les équipages d’une mission martienne ne seraient dans l’espace qu’environ 40 pour cent de leur temps de mission, la dose totale de GCR (mesurée en personnes-rems) que les équipes du programme ISS recevront au cours des dix prochaines années prévues d’opérations,est environ le même qu’une suite de cinq équipages de cinq personnes chacun, recevrait si ces équipages étaient lancés vers la planète rouge tous les deux ans sur la même période. Ainsi, en fait, le programme ISS a déjà fait prendre à ses équipages le même niveau de risque de GCR que celui que prendrait un programme continu d’exploration de Mars par vols habités.
Les radiations cosmiques galactiques (« GCR ») ne constituent pas un obstacle dirimant à l’exploration de Mars par l’homme, et elles ne doivent pas être utilisées comme une excuse pour remettre cette exploration à plus tard. Le programme spatial coûte de nombreux milliards de dollars qui sont dépensés au détriment de la satisfaction d’autres besoins de l’humanité partout sur Terre. Ce fait impose une obligation morale concernant le programme, d’aller de l’avant aussi rapidement et efficacement que possible. Il est compréhensible que les spécialistes des radiations veuillent justifier leurs financements. Mais ils ne devraient pas répandre de fausses informations pour faire, de façon aussi extravagante, leur promotion aux dépends du public.
Robert Zubrin, président de la Mars Society
Robert Zubrin est docteur en ingénierie nucléaire de l’Université de Washington.