L’exploration spatiale nous a fait découvrir en 50 ans, une extraordinaire richesse et variété de volcanismes dans notre Système Solaire. Des volcans » classiques » et actifs de la Terre et de Io, aux non moins classiques mais éteints ou endormis volcans lunaires, vénusiens ou martiens, en passant par les cryo-volcans de satellites glacés en orbite près de Jupiter ou plus récemment même autour de Saturne.
Loin de penser que l’on avait tout vu en la matière, voilà que des géologues américains pensent depuis ces toutes dernières années avoir découvert sur Mars, un phénomène éruptif naturel et saisonnier, jusqu’alors jamais observé ailleurs. Il s’agirait d’éruptions sporadiques expulsant dans l’atmosphère d’importantes quantités de dioxyde de carbone gazeux et de poussières ; en quelque sorte, des geysers secs !
Explications
La sonde MGS a dès 1998 observé dans les régions de hautes latitudes Sud, des paysages surprenants, étranges même. On voyait en effet sur plusieurs centaines de clichés, des structures sombres et fracturées en forme d’arbres » vus par le dessus « , des tâches très sombres et bombées, des dunes » léopard « …, le tout variant de couleurs et d’intensité selon les saisons et pouvant même totalement disparaître d’une année martienne à l’autre.
Ces structures noires font entre 15 et 50 mètres de diamètre et sont espacées de plusieurs centaines de mètres. Elles subsistent plusieurs mois à la surface du printemps à l’automne avant de disparaître complètement en hiver puis de réapparaître le plus souvent au même endroit, l’année suivante lors des premières chaleurs printanières.
La caméra thermique Themis de la sonde Mars Odyssey a montré que ces taches sont très minces et à la même température que la couche de givre de CO2 alentours.
Manifestement, nous sommes en présence d’un phénomène épisodique mais récurrent, lié à la saisonnalité de la région. Par ailleurs, ce phénomène ne semble pouvoir se produire qu’à des températures et des pressions que l’on ne retrouve que dans cette même région. Bref, un phénomène morphoclimatique spécifique aux régions polaires Sud de Mars.
Voici un splendide cliché du Pôle Sud de Mars pris par la sonde MGS lors du printemps, alors que le dégel de la mince couche de givre de CO2 commence à disparaître à mesure que la température augmente. La surface présente un sol typique de certaines régions polaires et périglaciaires terrestres : des polygones. On remarque la présence de taches sombres, noires, qui apparaissent en cette saison et se développeront un maximum à l’été, puis qui disparaîtront l’hiver venu.
Le cliché original est centré vers 79,9°S par 125,9°W. L’image originale couvre une zone de 3 km de large. L’éclairage solaire provient du haut gauche. C’est lors de la prise de vue, le printemps dans l’hémisphère Sud.
On ne peut pas parler – pour le moment du moins – de phénomène volcanique stricto-sensu puisque nous ne connaissons pas l’exacte nature de ce que l’on observe. Ni d’un point de vue géologique, ni d’un point de vue géophysique. On se contente pour le moment d’observations satellitaires à hautes résolutions réalisées par la sonde MGS. Il faudra de toutes manières examiner en détails les mêmes régions observées avec l’œil acéré de MRO dans les temps à venir…
Les régions observées s’activent donc en surface à chaque printemps. Leurs surfaces sont souvent recouvertes de massifs dunaires, d’accumulations éoliennes plus ou moins imbriquées dans des sols polygonaux. Les descriptions morphologiques de toutes ces formations superficielles ne manquent pas et l’on s’aperçoit vite que non seulement les taches sombres et les fractures semblent croître à mesure que l’on avance dans l’année martienne jusqu’à l’arrivée des fraîches températures de l’automne, mais que ces structures semblent liées entre elles, les taches tapissant très souvent le fond des marges des sols polygonaux rainurés. Par ailleurs, le substrat noir ou très sombre découvert lors des chaleurs de l’été est souvent pris en charge par les vents dominants et secondaires, jusqu’à parfois former des mosaïques, des marbrures très esthétiques en surface sur quelques dizaines voire centaines de mètres de distance, l’épicentre étant souvent le centre de la tache. Ces taches justement, prennent rapidement l’aspect d’un organisme mono-cellulaire et présentent un noyau sombre au centre, entouré d’une membrane plus claire autour.
On peut légitimement affirmer que ces matériaux sombres, mobilisables ou non, sont constitués de fractions fines. Rien ne permet toutefois d’évaluer l’épaisseur de cette couche géologique ni même sa véritable nature même s’il est vraisemblable que la couche en question soit assez fine et qu’elle puisse provenir de dépôts atmosphériques solides passés… Une chose est toutefois fondamentale dans le décryptage de ce paysage : la présence de sols polygonaux trahi l’existence de glace d’eau en sous-sol.
Alors comment s’opère ce processus géomorphologique unique ? Il semble que comme la couche de poussières est sombre, elle absorbe au printemps la lumière solaire plus intense et participe donc au réchauffement des terrains polaires glacés. Plus chaude, la poussière réchauffe de l’intérieur la couche de givre de CO2 déposée lors de l’hiver précédent sur la couche de glace d’eau qui constitue un socle. Le givre de CO2 sublime naturellement, mais de l’intérieur et libère de fortes quantités de gaz carbonique rapidement pris au piège. Quant la pression devient trop forte, localement, elle rompt la sub-surface fragilisée et libère dans l’atmosphère à fortes vitesses, gaz et poussières en rayonnant plus ou moins loin selon les conditions atmosphériques du jour, depuis et autour de l’épicentre.
Nous serions donc en présence d’une véritable soupape saisonnière, modelant ainsi les paysages de toute une région de Mars. Certains planétologues estimant même que les jets de gaz et de poussières pourraient s’échapper à plus de 150 km/h… Un spectacle probablement grandiose !
© Texte : Gilles Dawidowicz/APM.
© Images : NASA/JPL/Malin Space Science Systems et Gilles Dawidowicz.
© Dessins d’artiste : ASU/Ron Miller.