D’après la compréhension que nous avons aujourd’hui des conditions nécessaires à l’émergence du processus de vie, les sources hydrothermales offrent les conditions les plus propices à l’apparition de la vie sur Mars. Un article est consacré au sujet dans le Bulletin 73 de l’Association, en référence aux deux des trois sites présélectionnés par la NASA pour l’atterrissage de sa prochaine mission « lourde », Mars-2020, Columbia Hills (cratère Gusev, Spirit) et le secteur Nord-Est de Syrtis Major (entre Isidis Planitia et Nili Fossae). Un document de recherche publié le 10 juillet 2017, « Ancient hydrothermal seafloor deposits in Eridiana basin on Mars », par Joseph Michalski et al. (y compris Paul Niles, un des spécialistes de paléobiogéologie de la NASA), présente et analyse les mérites d’un site comparable mais qui semble encore plus intéressant, le fond des anciens grands lacs de la région d’Eridania (dans l’hémisphère Sud, à l’Est du bassin d’Hellas et au Sud du cratère Gusev auquel il est relié par un canal de déversement, « Ma’adim Vallis »).
Le fond d’un ancien grand lac dans Eridiana. Les restes de strates sédimentaires ont été englobés dans des écoulements de lave plus récents. L’mage couvre 20 km de large et a été prise par Mars Reconnaissance Orbiter. (Doc. NASA/JPL-Caltech/MSSS)
Rappelons d’abord pourquoi ce type de site est recherché.
On pense que pour que la vie apparaisse, sur Mars comme sur Terre, il a fallu de l’eau liquide et active (qui soit dans un état chimique et physique qui puisse permettre les liaisons chimiques), une abondance de minéraux dissous et circulant (courants), un différentiel de pH incitatif aux réactions thermodynamiques, de la chaleur mais pas trop (60°C plutôt que 100°C). Sur Terre trois types de sites présentent ces caractéristiques : certaines zones intertidales (les marées) dans les régions volcaniques, les rivières s’écoulant des sources géothermales de type Yellowstone et certaines cheminées des dorsales médio-océaniques (les moins chaudes, qui ont une vie très longue, type « Lost City »). Sur Mars, on n’a pas eu de zones intertidales (absence de gros satellite de type Lune) et on n’a pas eu non plus de dorsale médio-océanique (absence de tectonique des plaques horizontale). Jusqu’à présent, on recherchait donc plutôt les vestiges de sources géothermales de type Yellowstone et c’est sans doute l’origine des reliefs que va explorer Mars-2020 si les sites Columbia Hills ou NE Syrtis Major sont retenus.
Le site d’Eridiana ouvre de nouvelles perspectives d’un milieu appartenant à la même famille.
Il s’annonce encore plus intéressant car il présente un type de relief qui pourrait se situer entre les sources chaudes de type Yellowstone et les cheminées des dorsales médio-océaniques. L’époque des vestiges observés remonte à 3,8 milliards. Elle se situe après le bombardement météoritique intense et donc après que la planète ait pu suffisamment se refroidir et alors que son atmosphère était encore suffisamment épaisse pour que sa pression permette une gamme importante de température entre point de glaciation et point d’ébullition (facteur de stabilité de l’eau liquide). C’est à ce moment que la vie est apparue sur Terre. La région d’Eridiana contenait jadis de grandes quantités d’eau, sans doute nettement plus que n’en contient la Mer Caspienne (le double ?), sur 500 à 1500 mètres de profondeur. Au fond, la pression a pu atteindre les 20 à 30 atmosphères ce qui n’est pas autant que celles que l’on trouve dans l’environnement des dorsales médio-océaniques mais nettement plus qu’en surface. Le magma était proche du sol sous-marin et donc source d’émissions volcaniques. Les roches qui tapissent le fond de cette ancienne mer (sous forme de « chaos » du fait des circonstances de leur formation) témoignent de concrétions et d’hydratation dans d’excellentes conditions à partir des roches magmatiques et sur la durée. On trouve sur une grande épaisseur (supposée de 400 m à 1 km), dans les bassins occidentaux du site (Ariadnes Colles et Atlantis Chaos), un énorme volume (de l’ordre de 10.000 km3) de dépôts d’argiles, de carbonates, et de sulfites qui n’ont pu se former que dans un environnement hydrothermal sous-marin. Le magnétisme résiduel est l’un des plus élevés de la planète ce qui témoigne par ailleurs de l’ancienneté du lieu et du fait qu’il n’a pas été trop perturbé après sa formation. La présence de fer sous forme de Fe2+ (non oxydé) indique un milieu réducteur tout à fait comparable à celui qui existait dans les océans terrestres primitifs.
Le lac Eridiana et les profondeurs estimées, il y a 3,7 milliards d’années. L’image couvre une largeur de 850 km. Le volume d’eau est évalué à 210 000 km³, soit neuf fois le volume des grands lacs américains. (Doc. NASA)
Coupe schématique sur 450 km du lac Eridiana avec indication des phénomènes qui pouvaient s’y dérouler il y a 3,7 milliards d’années. Les indications de composition ont été fournies par l’instrument spectrométrique CRISM de MRO. (Doc. Nasa)
Les facteurs favorables sont donc les suivants : l’époque, l’environnement aqueux, le différentiel de pH, la pression, la chaleur, la richesse en nutriments minéraux. On se trouve effectivement en présence d’un milieu original et sans doute plus prometteur pour la recherche exobiologique que les sites actuellement retenus pour l’atterrissage de MARS-2020…mais il est trop tard pour l’introduire dans la sélection !