Article de Robert Zubrin traduit par Pierre Brisson
Original en anglais disponible sur : http://www.spacenews.com/article/opinion/35865curiositys-radiation-results#.UcXy2Pn0FwJ
Le mois dernier, les utilisateurs du détecteur de radiations « RAD » (« Radiation Assessment Detector »), embarqué sur le rover Curiosity de la NASA, ont fait part de certaines de leurs observations. Selon ces scientifiques, les mesures de RAD indiquent que l’équipage d’une mission d’exploration habitée sur Mars utilisant la technologie de propulsion actuelle (transfert de six mois dans chaque sens et séjour de 18 mois en surface) recevrait pour la totalité de ce voyage une dose de radiations d’environ 0,6 Sievert ( Sv), ou 60 rem (1 Sv = 100 rem).
Ce résultat n’est pas surprenant. En fait, il est tout à fait cohérent avec les données fournies par plusieurs des mêmes scientifiques qui ont utilisé l’instrument « MARIE » (« Mars Radiation Environment Experiment ») embarqué sur le vaisseau spatial Mars Odyssey pendant son voyage vers Mars en 2001 ou avec les estimations que j’ai publiées moi-même dans « The Case for Mars « en 1996,sur la base des modèles mis au point encore plus tôt par Benjamin Clark pour la mission Viking.
Ce qui est nouveau cependant, c’est que la NASA a choisi de présenter ces résultats prévisibles comme des résultats spectaculaires qui signaleraient un véritable obstacle pour l’exploration de Mars par vols habités. La déclaration officielle fait état de « résultats publiés dans l’édition du 31 mai de la revue Science, qui indiquent que l’exposition des explorateurs aux radiations pourrait dépasser la limite fixée par la NASA aux astronautes pour leur carrière entière si on utilisait les systèmes de propulsion actuels. L’exposition à une dose de 1 Sv, accumulée au fil du temps, est associée à une augmentation de 5 pour cent du risque de développer un cancer mortel. La NASA a établi qu’un risque accru de 3 pour cent de cancer mortel était la limite de carrière acceptable pour ses astronautes actuellement en service en orbite basse terrestre».
Ainsi, avec une dose estimée de 0,6 sievert par mission, le risque serait de 3 pour cent, juste la limite que la NASA a conçue pour elle-même. Par conséquent, pour respecter ses propres règlements, la direction de l’agence est prétendument en droit d’éviter le défi de l’exploration de Mars par l’homme, au moins jusqu’à ce que des systèmes de propulsion totalement nouveaux soient capables de permettre des voyages interplanétaires beaucoup plus rapides. Ils nous le feront savoir dès que ça arrivera. En attendant, nous devrions nous contenter d’un programme de vols habités qui continue à consommer des milliards de dollars chaque année,et pour longtemps, avec l’objectif de n’aller nulle part.
Cet argument est irrationnel pour plusieurs raisons.
En premier lieu le risque de 3 pour cent estimé pour la dose de 60 rem est surestimé. L’étude la plus complète et fiable du risque radiatif pour l’homme est celle «Des effets sur la population de l’exposition à de faibles niveaux de radiations ionisantes», publiée en 1972 par le Comité consultatif sur les effets biologiques de ces radiations (connue sous le nom de rapport « BEIR », acronyme du nom du comité en anglais) de l’Académie Nationale des Sciences Des Etats-Unis. Selon ses conclusions, «provoquer un cancer est la seule source de risque somatique qui doit être prise en compte dans l’établissement de normes de radioprotection pour la population en général… Dans cette population, la surmortalité de toutes les formes de cancer correspond à environ 50 à165 décès par million de personnes par rem pendant les 25 à 27 années suivant une irradiation ».
Autrement dit, si nous prenons l’extrémité haute de l’estimation de vulnérabilité du BEIR (165 décès par million de personnes / rem), une dose de 60 rem représenterait une probabilité de 1 pour cent de contracter un cancer mortel dans le courant du quart de siècle suivant.
En outre, on doit aussi noter (comme le rapport BEIR lui-même le fait) que les estimations de risque BEIR elles-mêmes sont extrêmement conservatrices et sans doute surestimées car elles sont fondées sur «l’hypothèse linéaire » qui considère que le risque est le même pour les petites doses accumulées au fil du temps et pour les doses fortes prises en une seule fois. C’est évidemment faux. Par exemple, on peut boire un verre de vin tous les soirs pendant un an sans effet nocif mais boire 100 verres (et a fortiori 365) en une nuit serait fatal. Pourtant, sur la base de l’hypothèse linéaire, certains pourraient prédire une chance de 1 pour cent de mort pour un seul verre. L’hypothèse linéaire conduit à faire la même erreur grossière en surestimant volontairement le risque de radiation. Cependant même si on l’utilise, l’estimation haute du rapport BEIR situe le risque de cancer résultant d’une mission martienne au niveau de 1 pour cent.
En second lieu, même si on devait stipuler un degré de risque beaucoup plus grand associé à une dose de radiations donnée, l’argument des dirigeants de la NASA pour rester parqués en orbite basse terrestre n’a aucun sens parce qu’ils exposent déjà les astronautes aux radiations cosmiques en les faisant séjourner sur cette orbite. En effet, les débits de dose de radiations interplanétaires mesurés par RAD et MARIE sont un facteur de deux fois supérieure à ce que les astronautes reçoivent actuellement à bord de la station spatiale internationale (ISS). Mais l’ISS est occupée en permanence par des équipages humains, tandis que l’équipage d’une mission martienne passerait seulement environ 40 pour cent de son temps en voyages, les 60 autres pour cent étant passés sur Mars où ils disposeraient de beaucoup de possibilités de protection. Donc, en supposant des équipes de taille égale, les équipages de l’ISS devraient recevoir collectivement au cours des 10 prochaines années la même dose de radiations totales cumulées et donc encourir le même risque de décès par cancer que les équipages des cinq missions martiennes habitées lancées à chaque fenêtre de tir biennale sur la même période.
En troisième lieu, nous notons que la stratégie de retarder l’exploration de Mars par vols habités jusqu’à ce qu’un mode de transport spatial plus rapide devienne disponible est malhonnête parce qu’aucun n’est aujourd’hui réaliste. Les arguments avancés par Ad Astra Rocket Co. que sa fusée « Variable Specific Impulse Magnetoplasma Rocket » (VASIMR) pourrait permettre des transferts pour Mars de 39 jours n’ont aucun sens. Ils sont en effet fondés sur la disponibilité hypothétique de générateurs électriques nucléaires spatiaux impossibles à réaliser car à la fois 10.000 fois plus puissants et 100 fois plus légers que n’importe quel système qui ait jamais été construit. De toute façon la NASA n’a pas de programme pour construire un réacteur électrique nucléaire de quelque type que ce soit. Des fusées à propulsion nucléaire thermique pourraient permettre des transferts pour Mars de quatre mois mais la NASA ne travaille pas dessus non plus. On pourrait aussi bien obtenir des transferts de quatre mois avec une propulsion chimique en ajoutant simplement plus d’étages au lanceur, mais dans ce cas, la sécurité globale de la mission serait beaucoup mieux assurée en utilisant la capacité de propulsion supplémentaire pour ajouter plus de charge utile tout en gardant un temps de transfert de six mois.En effet, quel que soit le système de propulsion, le voyage aller vers Mars de six mois est préférable pour la sécurité parce que c’est la seule trajectoire qui offre un retour automatique (en deux ans) jusqu’à la Terre, sans qu’il soit nécessaire de faire de boucle dans le système solaire interne trop chaud. Si on essaie d’atteindre Mars plus vite, on perd cette opportunité critique pour la sécurité de la mission.
Enfin, prétendre que bloquer le programme de vols habités en orbite basse terrestre pour éviter à l’équipage les risques inhérents à des missions d’exploration significatives est une position humanitaire responsable est absurde. Il en est ainsi non seulement parce que cela dégrade les astronautes de la qualité d’explorateurs à la condition de cobayes en leur imposant des risques de sujets de recherche pour les autres tout en les empêchant de mener à bien des entreprises dignes de leur courage. C’est aussi parce que le programme de vols habités coûte beaucoup d’argent. Si l’objectif n’est pas l’exploration de l’espace, mais la préservation de vies, cet argent pourrait être beaucoup mieux dépensé ailleurs.
Par exemple, l’administration fédérale américaine des routes sauve une vie pour chaque tranche de 3 millions de dollars qu’elle consacre à ses activités de réparation. A des niveaux de financement de l’ordre de 6 milliards de dollars par an, le programme de vols habités consomme des fonds qui pourraient sauver 2.000 vies par an. C’est le coût de l’entreprise dans laquelle nous sommes engagés. Conduit à un tel coût, il est vraiment nécessaire que le programme de vols habités « produise » quelque chose. C’est seulement par l’ouverture du système solaire à l’humanité qu’il peut mériter ce coût. Que l’agence spatiale continue à demander un tel sacrifice de la part du public tout en refusant de faire ce qui est nécessaire pour accomplir sa mission est moralement indéfendable.
Si nous voulons avoir un programme de vols habités, il doit aller quelque part. Les dirigeants de la NASA ne devraient pas chercher d’excuses pour ne pas le faire.
La position de l’instrument RAD sur la face supérieure de Curiosity (doc. NASA/JPL-Caltech/MSSS)
Commentaire de Pierre Brisson :
La Mars Society ne nie pas le danger des radiations. Ce qu’elle combat c’est que certains l’exagèrent pour le prendre en prétexte de ne rien entreprendre. Robert Zubrin, comme Richard Heidmann récemment, expose très clairement pourquoi les conclusions de l’article paru dans Science ne sont pas acceptables. La Mars Society joue ainsi son rôle de vigie et d’inspirateur. Cela devrait conforter l’opinion publique à soutenir les audacieux, tels qu’Elon Musk ou Dennis Tito, qui ont les moyens technologiques et financiers de poursuivre le beau projet de l’exploration de Mars par vols habités. Il faut donc rester ferme dans nos convictions et ne pas dévier de notre objectif malgré cette vielle « sirène » que nos adversaires nous font à nouveau apparaitre. Son image nous dissimule de la peur et de la procrastination.