Communiqué de presse 15-032 de la NASA, du 5 Mars 2015.
Dwayne Brown (siège NASA); Nancy Neal Jones/Elizabeth Zubritsky (Goddard Space Flight Center).
Traduction Pierre Brisson
« Selon les scientifiques de la NASA qui ont mesuré à l’aide d’observatoires terrestres les signatures de l’eau dans l’atmosphère de la planète rouge, Mars a bien connu un océan primitif qui a contenu plus d’eau que l’océan Arctique terrestre.
Mars il y a 4 milliards d’années ? Voir la vidéo (en anglais) du Goddard Space Flight Center. (Doc. NASA / Goddard Space Flight Center)
Des scientifiques ont cherché à savoir pourquoi ce vaste volume d’eau a disparu de la surface. Les détails de leurs observations et calculs sont publiés dans l’édition de ce jeudi 6 Mars 2015 de la revue Science.
« En déterminant la quantité d’eau qui a été perdu dans l’espace, notre étude nous donne une estimation sérieuse de la quantité d’eau qu’il y avait autrefois sur Mars», déclare Geronimo Villanueva, un scientifique du Goddard Space Flight Center de la NASA (Maryland), auteur principal du document. « Avec ce travail, nous pouvons mieux comprendre l’histoire de l’eau sur Mars ».
Mars la bleue (Image extraite de la vidéo NASA/GSFC)
Il y aurait eu suffisamment d’eau sur Mars, il y a peut-être 4,3 milliards d’années, pour couvrir toute la surface de la planète sous une couche liquide d’environ 137 mètres de profondeur. Plus probablement, l’eau aurait formé un océan occupant presque toute la moitié de l’hémisphère nord de la planète, atteignant dans certaines régions des profondeurs supérieures à 1,6 km.
Un océan de 1600 m de profondeur (Image extraite de la vidéo NASA/GSFC)
La nouvelle estimation est basée sur des observations détaillées faites par le Very Large Telescope (« VLT ») de l’European Southern Observatory(« ESO ») au Chili, ainsi que l’observatoire Keck et le télescope infrarouge de la NASA (« IRTF ») à Hawaï. Avec ces puissants instruments, les chercheurs ont distingué les signatures chimiques de deux formes légèrement différentes de l’eau dans l’atmosphère de Mars. L’une est le H2O familier, l’autre est le HDO (ou 2H2O), une variation naturelle dans lequel l’atome d’hydrogène est remplacé par une forme plus lourde (noyau comprenant un proton et un neutron), le deutérium.
En comparant le rapport HDO / H2O de l’eau martienne d’aujourd’hui avec le même rapport dans l’eau piégée dans une météorite martienne datant de 4,5 milliards d’années, les scientifiques peuvent mesurer les changements atmosphériques et déterminer combien d’eau s’est échappée dans l’espace
.L’équipe a dressé la carte des niveaux de H2O et de HDO plusieurs fois sur presque six ans, ce qui correspond à environ trois années martiennes. Les données résultantes ont fourni des instantanés planétaires de la répartition de chacune des molécules ainsi que leur rapport. Ces cartes, les premières de leur genre, mettent en évidence des différences régionales de microclimats et de variations saisonnières, même si la Mars moderne est essentiellement un désert.
L’équipe de recherche était particulièrement intéressée par les régions proches des pôles Nord et Sud car les calottes polaires contiennent le plus grand réservoir d’eau connu de la planète. On pense que l’eau qui y est stockée a enregistré l’évolution de l’eau sur Mars depuis la période Noachienne, humide, qui s’est terminée il y a environ 3,7 milliards d’années, jusqu’à aujourd’hui.
Après/avant (Image extraite de la vidéo NASA/GSFC)
A partir des mesures de l’eau atmosphérique dans les régions proches du pôle, les chercheurs ont déterminé l’enrichissement (les quantités relatives de HDO par rapport à H2O) dans les calottes glaciaires permanentes de la planète. L’enrichissement des calottes glaciaires leur a indiqué combien d’eau Mars a dû perdre, soit un volume 6,5 fois supérieur au volume restant dans les calottes polaires actuelles. Cela signifie que le volume de l’océan de la jeune Mars devait être au moins de 20 millions de kilomètres cubes.
Si on se réfère à la surface de Mars aujourd’hui, cette eau aurait dû se trouver dans les plaines du Nord, un bon candidat parce que son sol est à basse altitude. Un tel océan ancien aurait couvert 19 pour cent de la surface de la planète. Par comparaison, l’océan Atlantique occupe 17 pour cent de la surface de la Terre.
Disparition progressive de l’océan (Image extraite de la vidéo NASA/GSFC)
« Avec des pertes d’eau si importantes, la planète a dû rester humide beaucoup plus longtemps qu’on le pensait précédemment, ce qui suggère qu’elle a pu être habitable plus longtemps », déclare Michael Mumma, un scientifique chevronné du centre de recherche Goddard et second auteur du document.
A la même époque éloignée, le lac du cratère Gale dans lequel opère Curiosity (image extraite de la vidéo NASA/GSFC)
Commentaire :
C’est une excellente nouvelle qui en recoupe d’autres. On a d’abord constaté la fameuse « dichotomie crustale » de Mars qui oppose les basses terres du Nord, plates, lisses, peu cratérisées donc plus jeunes, aux hautes Terres du Sud au relief tourmenté, très cratérisées, avec des rémanences de magnétismes, plus anciennes. On a vu des traces d’écoulements puissants vers ces terres basses et, entre les deux régions ce qui pouvait être la trace de lignes de rivage. On a ensuite dressé la carte diélectrique de Mars qui montre clairement que le matériau dont est fait ces basses terres du Nord est soit riche en eau, soit poreux et témoin d’un passé riche en eau. On constate maintenant que l’eau dont on a trouvé les traces a dû, de par sa composition (comparaison des fameux atomes d’hydrogène d’eau lourde et d’eau « normale » dans certaines météorites martiennes et dans la glace d’eau actuelle) a dû appartenir à un même ensemble (ou le brassage et l’homogénéisation étaient possible). Cela ne peut vouloir dire qu’une seule chose : il y a bien eu un océan sur Mars à l’époque la plus ancienne (Noachien/ Phyllosien) mais sans doute aussi, à une moindre échelle, pendant la période suivante (le Theiikien/Hespérien), ou l’eau était liquide parce que l’atmosphère était plus dense. On a maintenant une indication précise sur son volume qui a été considérable puisque la planète a perdu 87% de son eau dans l’espace.
Ceci dit il reste des questions auxquelles il faut répondre et principalement celle de l’absence (ou la rareté) des roches hydratées (transformées par l’eau du fait du temps, de la pression et de la température) dans les plaines du Nord. Rappelons-nous les déceptions causées par le positionnement de Pathfinder dans Chrise Planitia, au débouché des grands écoulements cataclysmique de Valles Marineris (Ares Vallis) puis d’Opportunity dans le Cratère Gusev (MeridianiPlanum). L’Océan martien a donc dû être très particulier, très différent de nos océans terrestres. D’abord il faisait plus froid sur Mars et il a dû souvent être recouvert de glace, ensuite son niveau a dû varier considérablement en fonction de la succession des épisodes d’atmosphères épaisses puis tenues. Il devait aussi être très riche en alluvions grossières du fait des flots cataclysmiques très puissants qui l’alimentaient. Enfin les écoulements d’eau ont pu alterner avec les épandages de lave très liquide en fonction de l’activité des volcans géants qui le bordent.
Précisément le volcanisme peut expliquer pourquoi, en dépit d’une densité toujours faible, l’atmosphère de la planète a pu faciliter le maintien de l’eau très longtemps. Elle devait être particulièrement riche en gaz à effet de serre, le CO2 bien sûr mais aussi le souffre (pendant le Theiikien, période suivant le Phyllosien, le volcanisme était très actif).
Grâce aux moyens utilisés, aux données recueillies et aux chercheurs très actifs dans le monde entier, l’image s’éclaircit et on en sait de mois en mois toujours un peu plus. En tout cas, il faut penser « Mars » et non « Terre » en acceptant que cette planète voisine soit à la fois semblable à et différente de la nôtre.
Pierre Brisson
Références :
“Meteoritic evidence for a previously unrecognized hydrogen reservoir on Mars”
In “Earth and Planetary science Letters” (© Elsevier BV) par Tomohiro Usui et al. doi:10.1016/J.epsl.2014.11.022
“Dielectric map of the Martian northern hemisphere and the nature of plain filling materials” in Geophysical Research Letters (© American Geophysical Union) par JérémieMouginot et al. doi:10.1029/2011GL050286,2012