Mars, le chemin le plus long
Robert Zubrin, le 3 décembre 2012 (traduction Pierre Brisson)
Ces dernières semaines, la NASA a présenté comme axes de sa politique deux nouveaux projets remarquables qui méritent chacun un examen attentif.
Comme pièce maîtresse de son futur programme de vols habités, la NASA propose de construire une nouvelle station spatiale. Celle-ci serait positionnée non pas en orbite basse terrestre (« LEO ») mais au point de Lagrange « L2 », de l’autre côté de la Lune. Ce projet est en effet d’autant plus remarquable qu’une station spatiale en L2 ne servirait absolument à rien. Nous n’avons pas besoin d’une station spatiale en L2 pour retourner sur la Lune. Nous n’avons pas besoin d’une station spatiale en L2 pour aller sur les astéroïdes géocroiseurs. Nous n’avons pas besoin d’une station spatiale en L2 pour aller sur Mars. Nous n’avons pas besoin d’une station spatiale en L2 pour quoi que ce soit.
L’autre projet est un nouveau plan de retour d’échantillons qui est maintenant considéré comme le but principal du programme d’exploration robotique de Mars. Ce projet est remarquable par sa complexité sans précédent et tout à fait inutile.
On peut légitimement se demander si un retour d’échantillons est la meilleure façon de poursuivre l’exploration scientifique robotique de Mars dans le cadre du budget du programme d’exploration de cette planète géré par la Direction d’exploration planétaire de la NASA. C’est un sujet sur lequel des gens raisonnables peuvent avoir des avis différents (et c’est d’ailleurs ce qui se passe). Il est certainement possible de proposer des missions robotiques alternatives composées de toutes sortes d’orbiteurs, de rovers, d’avions, de réseaux de surface, etc., qui pourraient avoir un rendement scientifique supérieur à celui d’une mission de retour d’échantillons martien et beaucoup plus rapidement, compte tenu en particulier du fait que des explorateurs humains pourraient rapporter des centaines de fois la quantité d’échantillons que le pourrait une mission robotique spécifique, en choisissant ces échantillons avec beaucoup plus de perspicacité à partir de beaucoup plus de roches cibles. Cela étant dit, si les membres de la communauté scientifique croient vraiment qu’une mission robotique de retour d’échantillons est si importante qu’elle vaut la peine de sacrifier tous les autres types de recherche scientifique qu’ils pourraient faire avec l’argent qui lui serait consacré, il est impératif que la NASA développe le plan de retour d’échantillons martiens le plus efficace qui soit, pour permettre d’obtenir les échantillons aussi rapidement que possible et avec le moins de ponctions possibles sur les fonds qui pourraient être utilisés pour d’autres types de missions d’exploration de Mars.
Malheureusement, plutôt que de proposer le plan le plus économique pour une mission de retour d’échantillons martiens, la NASA a choisi l’approche la plus alambiquée, la plus risquée, la plus coûteuse jamais conçue. La mission Curiosity vient de démontrer un système qui peut déposer en douceur 900 kg sur la surface martienne. Avec une charge utile de 900 kg, il est possible de faire atterrir un Véhicule de Retour de Mars (« MAV » pour « Mars Ascent Vehicle ») complet, en deux étages, capable de renvoyer directement vers la Terre une capsule avec un échantillon de 1 kilogramme, ainsi qu’un véhicule de type MER (« Mars Exploration Rover » ie Opportunity ou Spirit) pour collecter les échantillons pour le MAV. Mais, au lieu de proposer un tel plan simple, la NASA a imaginé un schéma de mission qui serait réalisé en huit phases : a) faire atterrir un grand rover pour collecter les échantillons et les garder dans un containeur spécifique ; b) envoyer un MAV sur le sol de Mars pour y retrouver le MER ou son containeur ; c) faire repartir le MAV vers l’orbite martienne où il devrait rejoindre un vaisseau spatial à propulsion électrique solaire ; d) renvoyer ce vaisseau spatial à proximité de la Terre ; e) construire une station spatiale au point de Lagrange ; f) y envoyer des astronautes ; g) envoyer des astronautes basés à la station spatiale du point de Lagrange jusqu’à l’engin spatial à propulsion électrique solaire pour y prendre les échantillons et retourner à la station spatiale du point de Lagrange ; h) étudier longuement les échantillons dans l’espace à la station du Point de Lagrange.
Deux projets de « MAV », à liquides (à gche) et à poudre (à dte) (Doc. NASA)
La plus aimable chose que l’on puisse dire à propos de ce plan de quintuple rendez-vous, c’est qu’il est probablement le produit non planifié de la pathologie bureaucratique plutôt que celui de la folie volontaire d’un individu. Pour un cinquième de son coût la NASA pourrait réaliser cinq missions directes simples de retour d’échantillons, dont chacune aurait (au moins) cinq fois la chance de réussite de la mission complexe de la NASA. Il est donc difficile d’imaginer qu’une personne saine d’esprit l’ait inventé exprès.
Il est clair cependant que le groupe qui a dérivé dans ce marais intellectuel a essayé de prendre la mission de retour d’échantillons martiens comme un prétexte pour la poursuite d’un assortiment d’autres marottes de la NASA. Par exemple, on note qu’il prévoit d’utiliser une station spatiale au Point de Lagrange. Mais cela ne facilite en rien la mission de retour d’échantillons qui pourrait beaucoup plus simplement consister à rapporter ces échantillons sur Terre où de bien meilleures installations de laboratoire sont disponibles que celles qui ne pourront jamais être installées en L2. Au contraire, en déclarant la station L2 comme élément essentiel de son plan de mission, la NASA introduit un obstacle à la réalisation du retour d’échantillon tout en accroissant considérablement le coût de la mission et du programme, le calendrier et les risques et en diminuant fortement le rendement scientifique. On peut dire la même chose de l’utilisation de la propulsion électrique, un programme technologique placé sur le chemin délicat des missions martiennes habitées sur la foi du plaidoyer incroyable d’un avocat bien placé, selon lequel ce programme aurait pu accélérer les transits interplanétaires, et qui est maintenant à la recherche d’une justification alternative.
Cette méthode de planification est équivalente à celle d’un couple de consommateurs compulsifs qui demandent à un architecte de concevoir leur maison de rêve et insistent pour qu’il inclue dans sa conception tous les objets divers et dépareillés achetés dans le passé et entassés dans la cour comme composants essentiels de la construction, afin de donner à leurs achats un semblant de rationalité. En capitulant devant ce genre de réflexion, la direction de la NASA a fait passer le projet de retour d’échantillons martiens, d’une « mission » à une « vision ».
La NASA doit se préparer à un tsunami financier annoncé. Le moment choisi par l’agence pour chercher à gonfler le coût, allonger le calendrier et minimiser le retour de ses missions, n’aurait jamais pu être pire. Si le programme d’exploration spatiale doit survivre, il doit vraiment donner des résultats. Maintenant, plus que jamais, si nous voulons réellement obtenir des échantillons martiens, nous devons suivre un plan qui a précisément cet objet, de la manière la plus simple, la moins chère, la plus rapide et la plus directe possible. En aucun cas, la mission ne doit se concevoir comme un arbre de Noël sur lequel on accrocherait tous les ornements de la boîte à souhaits narcissiques de la bureaucratie, pleine de concepts retardateurs multi décennaux, inutiles et coûteux. Et on peut dire la même chose de la mission d’exploration de Mars par vols habités. Si nous voulons aller sur Mars, nous devons aller sur Mars et non à L2.
Commentaire :
Robert Zubrin nous donne encore une leçon de bon sens. La nouvelle politique spatiale de la NASA apparaît bien comme le pire cauchemar que l’on pouvait imaginer. Le penchant pour la complexité est un danger qui était déjà présent au sein de l’agence et chez beaucoup d’industriels. Il semble que le manque d’intérêt véritable de l’administration actuelle pour une exploration de Mars intense et directe, avec participation physique de l’homme, laisse la bride sur le cou à tous les démons (Robert Zubrin dirait les sirènes) qui menaçaient d’entraver la progression vers ce but. Il ne faut cependant pas désespérer. Beaucoup d’Américains et d’hommes dans le monde veulent explorer Mars avec la participation active de l’homme et un président favorable à cette idée remplacera un jour le président actuel des États-unis.
Superbe article merci, malheureusement il annonce quelque chose d’invraissemblable…
C’est terrible…
Ou alors au lieu de compter sur les américains, il faut patienter un peu et compter sur les chinois qui peut être présenteront un engouement bien plus prononcé pour mars et sa conquête par l’homme.
Heureusement, le privé prendra bientôt la relève.
Le projet Nasa semble directement inspiré de l’article de Damon Landau et Natham J.Stange dans Scientific American de décembre 2011