Annonce de la Mars Society du 10 mai 2011.
Traduction de Pierre Brisson
La saison des missions à la Mars Desert Research Station (« MDRS ») s’est terminée par les travaux d’un équipage conjoint de la NASA et de l’International Mars Society.
Vous pouvez lire ci-après le rapport de synthèse de la mission de cet équipage (« mission 104 ») établi par son commandant, le Dr Jonathan Clarke. Il était composé de scientifiques et d’ingénieurs de la NASA ainsi que de membres de l’International Mars Society. Il a utilisé la MDRS du 23 avril au 7 mai 2011. Cette mission met fin à la saison 2010/2011 de simulations actives sur le terrain de cette base « Mars analogue ». Une équipe d’ingénieurs de la Mars Society a depuis repris possession de l’habitat (« hab ») pour des opérations de maintenance. Les simulations y reprendront à l’automne.
Les rapports quotidiens d’activité à la MDRS ont été mis en ligne sur le site de la Mars Society (www.marssociety.org). Un rapport complet de la saison sera fait lors de la 14e Convention annuelle internationale de la Mars Society qui se tiendra à l’Hôtel Embassy Suites, de Dallas, du 4 au 7 août 2011. L’inscription pour participation à cette convention est maintenant ouverte sur le site de la Mars Society.
Les activités de l’équipage 104 peuvent se résumer en « sept personnes, quatre nationalités et une rotation très active ».
Objectifs :
La mission 104 a été la phase culminante du projet DOMEX (« Drilling On the Moon & Mars in human EXploration », c’est-à-dire « Forage sur la Lune et Mars dans le cadre d’une mission d’exploration humaine »). Les objectifs principaux étaient d’abord de tester une gamme de systèmes de forage pour prélever des échantillons du sous-sol sur des cibles identifiées lors des missions 83 et 92 ; ensuite, d’effectuer des analyses préliminaires en utilisant un éventail de techniques ; enfin, d’augmenter et d’étendre les données géologiques et biologiques recueillies lors de ces missions.
La pièce maîtresse des opérations était le système de forage et d’abord le forage « MARTE » automatisé du Ames Research Center de la NASA, développé sous contrat avec Honeybee Robotics. Un système manuel « commercial » provenant de Milwaukee et un autre système de carottage de type « sac à dos » (« Back pack » de la Sté Shaw Inc.) furent également utilisés pour prélever des échantillons de forage dans le cadre d’un scénario de mission d’exploration humaine (NdT : MARTE est l’acronyme de « Mars Astrobiology Research and Technology Experiment ». La foreuse MARTE a été utilisée une première fois en 2005 dans la zone de Rio Tinto en Espagne).
Pour les expériences de cette saison, deux cibles furent choisies, dans un paléosol et un dépôt de cours d’eau asséché de la subdivision dite « Brushy Bassin » dans la « Formation de Morrison » (NdT : terrain sédimentaire du Jurassique récent particulièrement riche en fossiles de dinosaures) identifiée par notre précédente mission 92. L’équipage de cette mission avait également échantillonné dans cette zone des cibles riches en argile et en sulfate avec l’équipement « sac à dos ».
Les échantillons devaient d’abord faire l’objet d’une analyse préliminaire par l’équipage, y compris en utilisant l’équipement portable TERRA avec système XRF/DRX (de la Sté inXitu Inc.) et l’homologue terrestre de l’instrument ChemMin qui sera emporté sur Mars par la mission MSL / Curiosity plus tard cette année. Pour l’analyse des carottes, on a aussi utilisée l’extraction d’ADN, l’analyse PCR (NdT : Polymerasse Chain Reaction, méthode de biologie moléculaire d’amplification génétique in vitro qui permet de copier en grand nombre une séquence d’ARN ou d’ADN à partir d’une faible quantité d’acide nucléique) pour la microbiologie et le titrage au permanganate avec hydrolyse acide pour l’évaluation d’un éventuel contenu organique.
Les géologues et les astrobiologistes avaient également pour mission de développer et d’étendre la compréhension des aspects « Mars analogues » de la minéralogie et de la microbiologie du sol ainsi que celle des paléo-chenaux inversés et exhumés riches en concrétions sphériques au voisinage de la station MDRS, qui avaient été documentés par les missions 83 et 92 puis publiés (numéro de juillet 2011) dans l’ International Journal of Astrobiology.
Programme sur le terrain :
Aucun programme de terrain ne se déroule jamais vraiment comme prévu et celui de l’équipage 104 n’a pas fait exception. Mais, en dépit de divers aléas, nous avons réussi à atteindre tous nos objectifs principaux.
Forage
La foreuse MARTE a été utilisée pour obtenir une carotte de sol fossile à une profondeur de 63 cm. Cette profondeur a nécessité deux jours de forage. Le trou a été fait dans un paléosol avec des impressions de racines et de nids d’insectes bien définies, à proximité du hab. Nous ne nous attendons pas à trouver ces traces sur Mars, mais on pourrait cependant trouver des bandes de sols fossiles en alternances sédimentaires et volcaniques et ces éléments pourraient fournir des cibles visuelles, de textures et chimiques, pour l’imagerie et l’analyse. Les carottes ont été traitées dans le hab pour l’extraction d’ADN, la minéralogie et la teneur en matière organique.
Nous avons ensuite effectué un second forage, à côté du trou MARTE, en utilisant la perceuse de Milwaukee pour comparer ses performances. Cette perceuse manuelle s’est très bien comportée et en quelques heures a permis de forer plus que la MARTE ne l’avait fait en deux jours. À la fin du forage MARTE, une pièce mécanique n’a plus fonctionné et nous avons passé deux jours à rechercher la panne. En fin de compte on a dû constater qu’elle n’était pas réparable sur place.
Nous sommes ensuite allés à un second site, à proximité du lieu dit « Tank Wash » sur la « Cow Dung Road » et nous avons foré deux autres trous avec la perceuse de Milwaukee. Elle utilise l’eau pour l’élimination des déchets et le refroidissement. Son moteur est électrique. La force de pénétration verticale est obtenue en tournant une manivelle. Un des trous fut foré en utilisant l’eau claire comme fluide de forage et l’autre avec de l’eau dans laquelle des micro-sphères fluorescentes ont été ajoutées comme traceur de contamination. Les deux carottes obtenues faisaient plus d’un mètre de longueur et provenaient de grès de chenaux avec des concrétions de calcite. Du fait que ce grès est bien durci, il n’est pas susceptible d’infiltrations et sera adapté à l’analyse organique et de l’ADN.
En raison du succès des autres forages, la perceuse « sac à dos » n’a pas été utilisée. A quelques endroits où l’on avait envisagé de le faire, on a décidé de procéder plutôt à un échantillonnage de surface. Un des problèmes que posent la perceuse « sac à dos » pour les études biologiques est le petit diamètre de la carotte (environ 12 mm) qui rend difficile d’exclure la contamination lorsque l’eau est utilisée pour le forage.
Prélèvements de surface et imagerie.
Jon Clarke avait effectué une large reconnaissance géologique lors de la mission 92, la saison précédente. Cela a permis une meilleure compréhension de l’évolution des paysages, de l’aspect des cours d’eau et de la formation des concrétions. Une série d’observations sur les sites anciens et nouveaux ont été faites lors de cette mission, ce qui a étendu et enrichi les travaux antérieurs et permis d’examiner de plus près des formations rocheuses situées sous la subdivision de « Brushy Bassin » de la « Formation de Morrison », en particulier les subdivisions de « Salt Wash » et de « Summerville ».
Nous avons également profité de l’occasion pour faire des observations plus loin, à « Green River » (chenaux inversés de la formation de « Cedar Mountain »), à « Angel Point » (formations « Navajo » et « Carmel ») et à « Horseshow Canyon » (formation « Navajo »). On a prélevé des échantillons dans la plupart de ces sites pour analyse organique, de minéralogie et de l’ADN.
Plusieurs sites échantillonnés au cours des missions précédentes (83 et 92) ont montré des résultats inhabituels en ce qui concerne leur chimie organique et leur microbiologie. Ils ont été ré-échantillonnés en utilisant des procédures stériles et de basses contaminations et leur contexte géologique a été documenté.
Un membre d’équipage (Sarah Thompson) disposait de plusieurs appareils photos sophistiqués et elle les a utilisés pour documenter les deux sites de forage en détail à très haute résolution, simulant ainsi ce que pourrait effectuer un rover automatisé sophistiqué. Ces données, collectées pour le compte de Bernard Foing (ESA ; NdT Bernard Foing a déjà mené une mission à la MDRS, en Mars 2009), contribueront à la planification des campagnes d’imagerie du rover ExoMars.
Activités de laboratoire
Presque tous les échantillons géologiques ont été analysés en utilisant l’appareil « Terra XRF / DRX », bien que l’interprétation des résultats doivent être faite plus tard. Les contraintes de temps ont limité notre capacité à utiliser l’instrument laser Raman.
Les roches et les sols dans la zone de la MDRS présentent un large éventail de matériaux pour les essais technologiques de détection de composés organiques sur Mars. Les roches vont de celles qui sont naturellement riches en matières organiques, tels que les schistes marins et les charbons, à celles qui en sont naturellement pauvres comme les grès et les schistes oxydés. La minéralogie de cette zone inclue des sulfates, des carbonates, des roches quartzeuses et des argiles. Les conséquences de l’action des intempéries et de formation de sols se sont superposées à la composition d’origine de ces roches.
Dix-neuf échantillons de carottes de forage MARTE et différents échantillons de sols et de roches de surface ont été analysés en utilisant le titrage au permanganate avec la méthode d’hydrolyse acide (NdT : le permanganate réagit fortement à la présence de composés organiques). Dans les carottes, le contenu organique allait de 5 à 50 ppm, ce qui est très faible. Par comparaison, le bois pétrifié de la subdivision « Salt Wash » contenait 210 ppm de matière organique.
Luisa a prélevé des échantillons pour faire des analyses PCR. Des échantillons de carottes, de sol et d’endolithes ont été prélevés pour faire des tests d’ADN à utiliser pour étude phylogénétique. Elle n’a trouvé aucune trace de micro-organismes dans les carottes. Cela peut résulter d’un problème de traitement. Elle emploiera de meilleures méthodes d’extraction de retour à Université d’Aveiro au Portugal. Le programme d’échantillonnage d’endolithes a donné des résultats positifs, ce qui signifie qu’il faudra procéder à une analyse plus approfondie. L’analyse microbiologique des échantillons de sol sera faite au Portugal et l’analyse chimique à l’Université VU des Pays-Bas (Amsterdam).
Les activités futures
Le travail de la mission ne se termine pas quand elle prend fin. Devant chacun d’entre nous il y a des mois de travaux pour terminer les analyses, interpréter les résultats et rédiger des articles sur la microbiologie, la chimie organique, les opérations de forage et préciser les implications de haut niveau des résultats. L’expérience et les données recueillies au cours de cette expédition aideront la conception, la planification et l’exploitation de futures missions sur Mars, y compris ExoMars, qui échantillonneront le sous-sol, fourniront une meilleure compréhension de l’interaction entre la minéralogie des sols et de la chimie ainsi qu’entre les biotes microbiens et leurs marqueurs biologiques et montreront comment améliorer la détection de la vie passée sur Mars et la conceptualisation de la diagenèse des sédiments martiens ainsi que de l’évolution du paysage martien.
Commentaires de conclusion
C’est ma troisième mission à la MDRS, puisque j’ai déjà participé aux missions 14 et 92. Même si je pense commencer à mieux connaître la région, il reste encore beaucoup à explorer et à faire, tant dans le voisinage immédiat de la station que plus loin. Je me réjouis des possibilités futures de travail dans cette installation unique. L’équipage de la mission 104 a bien travaillé et à réussi à atteindre des objectifs aussi divers que complexes. L’atmosphère a été très bonne de bout en bout. La mission a été un grand succès grâce à Carol, Sarah, Luisa, Jhony, David et Julio. Carol, grâce à son leadership, stratégique, opérationnel et tactique, a rendu le tout possible. David, Sarah et Jhony, nos ingénieurs intrépides, ont effectué les forages, ont résolu les problèmes et ont fait fonctionné le hab. Luisa et Julio, l’équipe des «rats de laboratoire», avec leurs travaux en astrobiologie, ont été un élément clé de la rotation. Enfin, je tiens à remercier l’infatigable Don Lusko (intendance, Hanksville), pour son soutien discret mais très efficace à la mission.
Commentaire :
Ce rapport du Dr Jonathan Clarke, confirme le rôle important que, mission après mission, la base de la MDRS conçue et créée par la Mars Society, joue de plus en plus dans la communauté scientifique. Dans ce domaine comme en d’autres, la Mars Society est un pionnier et un facilitateur.
Pierre Brisson