Dans son numéro du 31 mai dernier, la revue de référence Science a publié les résultats de l’expérience RAD de MSL concernant le niveau de radiations ionisantes rencontré lors du transfert de la sonde entre la Terre et Mars. Le rapport, auquel ont contribué des auteurs américains et allemands, fournit une présentation détaillée des faits constatés, fort utile dans un domaine où ces données sont encore peu nombreuses. Mais ce travail factuel conduit aussi les auteurs à quelques commentaires sur les conséquences astronautiques de leurs constats dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont plus ou moins opportuns.
En effet, leurs conclusions sur la dangerosité du phénomène sont émises sans rendre compte de la complexité du processus permettant de passer de résultats de mesures physiques, obtenus dans des conditions bien particulières, à une traduction sur des effets biologiques estimés dans le cas d’une mission comportant plusieurs phases aux environnements différents. A l’analyse, on peut même dire qu’elles sont trompeuses, dans la mesure où ce sont essentiellement les facteurs défavorables qui sont mis en avant. Ainsi il est signalé que les mesures ont été effectuées en période de faible activité solaire et que, par conséquent, on doit s’attendre, à d’autres périodes, à un accroissement des doses provenant des émissions solaires (SPE). C’est vrai, mais d’une part on sait se protéger de ces flux de protons sporadiques d’énergie limitée, d’autre part les auteurs semblent oublier que l’accroissement de l’activité solaire réduit considérablement le flux des rayonnements cosmiques (GCR), comme le montre le graphe ci-dessous. Or ce sont bien ces rayonnements qui posent problème, dans la mesure où, vu leur énergie élevée, il n’est pas facile de s’en protéger efficacement sans forte pénalité sur la masse du vaisseau.
Dose annuelle encourue au niveau des organes les plus sensibles (moelle osseuse, BFO) :
-d’après ce graphe, elle est réduite d’un rapport 3 entre les périodes d’activité solaire minimale et maximale (comme ici 1977 et 1990) ;
-pour l’atténuer d’un tiers, il faudrait un écran d’environ 1 m d’épaisseur d’hydrogène liquide ou de 600 kg/m² de polyéthylène !
(doc. M.S.Clowdsley&al. STAIF2003)
Mais c’est surtout le résumé éditorial de l’article qui conduit à réagir. La recherche du sensationnel apparaît dès le titre : « Radiation will make astronauts’ trip to Mars even riskier » : « Les radiations vont rendre le voyage des astronautes vers Mars encore plus risqué ». Plus risqué que quoi ?…
Cette déclaration tapageuse n’a aucun fondement ; en effet les résultats publiés sont parfaitement conformes aux estimations que les modèles physiques (au demeurant très élaborés) permettent d’établir. Les 660 mSievert annoncés pour l’ensemble des deux transferts de chacun 6 mois correspondent à :
-33 cSv (ou Rem) par trajet, en soleil minimal (condition pénalisante) ;
-11 cSv en soleil maximal (sans l’effet résiduel des SPE, dont on peut se protéger) ;
-soit 22 cSv dans le cas moyen, en ligne avec les 25 Rem habituellement cités !
Rien de nouveau, donc, et on peut légitimement reprocher à Science de s’être laissé aller au sensationnel dans son commentaire.On lui reprochera d’ailleurs également le caractère confus et tendancieux de ses développements ; ainsi, en-dehors de l’omission déjà signalée de l’influence bénéfique de l’activité solaire sur les GCR, mettre inversement en exergue l’augmentation de la fréquence des SPE comme un sérieux problème n’a pas de sens, dans la mesure où on devra de toute façon disposer d’un abri permettant de s’en protéger.
Ce qui est grave dans ce contexte, c’est que certains média, avides de sensationnel, spécialement lorsqu’il est fondé sur l’angoisse, ont concentré leur attention sur ce commentaire, sans avoir pu se faire une opinion à partir de leur propre analyse de l’article scientifique.
Tout ceci ne signifie pas que le problème soit négligeable ; accroître de 3 % la probabilité de mourir (tardivement) d’un cancer est un risque qui demande à être assumé, tant par les astronautes que par les décideurs. Mais, comme le souligne Robert Zubrin et le reconnaît d’ailleurs Science, ce risque est faible en comparaison du spectre étendu des risques techniques (et psychologiques) qu’auront à affronter les astronautes.
L’exploration spatiale est une entreprise difficile, nécessitant d’affronter des conditions extrêmes et exceptionnelles ; si le maximum doit être fait en phase de conception et de développement pour réduire les risques, dans toute la mesure du possible, on ne pourra prétendre au niveau de sécurité de missions bien moins ambitieuses, telles que par exemple celles menées vers l’ISS.
En matière de rayonnements ionisants, l’effort de développement devrait porter prioritairement dans deux directions :
-La caractérisation des effets spécifiques des GCR, en particulier des ions lourds, sur la matière vivante, afin de réduire les incertitudes si utiles aux détracteurs du projet ; pourquoi avoir attendu un demi-siècle avant de dédier des travaux de laboratoire à cette lacune de nos connaissances ?…
-La recherche sur les mécanismes cellulaires de défense, qui devrait permettred’améliorer leur efficacité. Plus de 700 protéines contribuent à ces mécanismes, au travers d’un écheveau fonctionnel inextricable : une mine d’or à exploiter pour l’astronautique, mais aussi pour la recherche médicale. Oui, un jour malheureusement la perte d’un équipage pourrait être à déplorer, comme cela s’est déjà produit dans les programmes passés ; mais combien de vies auront été sauvées grâce aux progrès médicaux engendrés par des recherches telles que celles-ci ?
Petit aperçu de l’inextricable machinerie cellulaire qui contribue à nous protéger des effets des rayonnements ionisants…(Doc. DR)
Nota : deux points restent peu clairs :
-Comparaison au niveau dans l’ISS : l’article de commentaire indique 7,5 cSv pour l’ISS contre 33 pour un transfert, soit un rapport 4,4 alors que les résultats de l’expérience MARIE (Mars Odyssey) montrent un rapport de 2,2, rapport d’ailleurs confirmé au moment de la présentation des premiers résultats de RAD (sur le sol martien)… Un problème de cohérence des conditions d’activité solaire ?
(Doc. NASA)
-S’agissant cette fois du niveau sur Mars mesuré par RAD et précédemment publié : si l’annonce que ce niveau est identique à celui de l’ISS était particulièrement rassurante, tout n’est pas limpide. En effet, il est expliqué que la géométrie conduit à une réduction d’un facteur 2 (la moitié de la sphère céleste est invisible). Mais quid de l’effet de l’atmosphère ? Il semble négligeable, alors même que l’altitude du site de Curiosity est faible (donc l’écran atmosphérique important). Pourtant les modèles physiques indiquent une influence très significative (voir l’image ci-dessous). Sont-ils contredits ? Ou bien y a-t-il là aussi un problème de cohérence des conditions ?
Les modèles indiquent un facteur 2 pour la dose induite par les GCR entre les altitudes extrêmes du sol martien. (Doc. NASA)
Tout est vraiment fait pour détourner l’opinion publique des voyages habités vers Mars.il est vrai que le catastrophisme a toujours été très vendeur pour les médias!
Qu’en est-il des radiations au niveau du sol martien ?