Après avoir analysé les objectifs assignés par SpaceX à son projet d’un moyen de transport Terre-Mars devant permettre d’établir et de desservir une colonie martienne (cf. l’étude MCT précédemment publiée), nous nous sommes penchés sur un aspect critique de la crédibilité du projet, celui de la conception des lieux de vie (enceintes pressurisées).
Beaucoup de propositions ont été faites à ce sujet, même si la plupart des études documentées ont porté sur les phases amont de la présence humaine, celles de l’exploration en station temporaire ou à partir d’une base permanente limitée en nombre de résidents et en capacités d’autosuffisance. Les conséquences de la contrainte spécifique d’une production de ces enceintes en masse et essentiellement à partir de ressources locales n’ont été que rarement prises en considération.
3. Considérations générales
3.1. Les contraintes de l’entreprise
3.2. Une orientation du concept de colonie déterminante
3.3. Deux conséquences remarquables des hypothèses MCT
4. Quelques principes de conception des habitats
4.1. S’enterrer le moins possible
4.2.« Déspatialiser », personnaliser et sociabiliser
4.3. Utiliser au maximum les ressources locales
4.4. Optimiser les moyens de production et d’assemblage
5. Un exemple de conception des logements
5.1. Configuration d’ensemble
5.2. Une protection radiative efficace
5.3. Quelques données de dimensionnement
6. Conception des espaces communautaires
6.1. Importance des espaces communautaires
6.2. Un problème différent de celui des logements
6.3. Solutions de démarrage
6.4. Comment réaliser des espaces sous dômes ?
6.5. Des dômes géodésiques hémisphériques
6.6. Des aménagements agréables, avec application de l’effet « casquette »
6.7. Quelques données de dimensionnement
7. Aperçu des moyens de production pour les constructions
7.1. Les filières matériaux retenues
7.2. La filière verre
7.3. La filière acier
7.4. La filière duricrete
7.5. Quantités à produire
7.6. Besoins en énergie
7.7. Le solaire : solution séduisante mais impraticable en phase d’implantation
7.8. Le générateur électronucléaire
1. Le scénario cadre de l’étude
Nous avons retenu des hypothèses cohérentes avec les performances opérationnelles envisagées pour le MCT et avec les résultats d’un modèle économique de la colonie, basé sur l’idée que la fonction essentielle de l’établissement serait l’offre de résidence et de services associés.
Ce modèle, encore en gestation, ne sera pas décrit ici. Il vise à estimer la taille requise et la grille des tarifs à offrir pour atteindre l’équilibre financier en régime établi, en fonction d’évaluations sur :
- les éléments de coût (transport, achats d’équipements, maintenance, salaires, etc.) ;
- les durées de séjour des résidents ;
- la durée d’implantation de la colonie.
Les résidents clients (payants) appartiendraient à deux catégories : des scientifiques missionnés par des institutions ou des entreprises pour effectuer des travaux de recherche et technologie, et des touristes (aisés) souhaitant consacrer une partie de leur fortune à l’aventure de leur vie, un séjour sur un autre monde. Les autres résidents seront des salariés, ou des prestataires indépendants qui, rêvant eux aussi de cette aventure, se seront enrôlés pour assurer les multiples fonctions nécessaires à la vie de la colonie. Leurs qualités professionnelles devront répondre à des standards de haut niveau. Les frais des salariés (transport, séjour) seront naturellement pris en charge et leur salaire sera attractif. Des critères exigeants devront par ailleurs s’appliquer dans le domaine psychologique à la sélection des résidents, toutes catégories confondues.
2. Données essentielles
Les valeurs et contraintes principales suivantes, déduites de ce qu’on peut imaginer concernant le MCT et des premiers résultats du modèle économique, ont été retenues :
- Charge utile d’un vaisseau MCT : 100 T, dont un maximum de 100 passagers (représentant 50 T avec leurs vivres et stock d’eau).
- Taille de la colonie à atteindre : 1000 résidents (facteur limitant : le nombre de vols à assurer par période synodique).
- 425 résidents payants (dont 300 touristes).
- Durée d’implantation de la colonie : environ 20 ans.
- Surface d’habitation privative : 30 m² par résident.
- Surface cultivée alimentaire : 60 à 90 m² par résident.
- Nombre de vols aller par cycle synodique : 6.
- Trafic par cycle synodique : 570 passagers dans chaque sens en régime établi, et 280 T de cargo dans le sens aller. Ce trafic passagers élevé résulte du fait qu’on considère que la plupart des touristes ne séjourneront sur Mars que sur un cycle (18 mois) et la majorité des missionnés sur un ou deux cycles (44 mois). Ce n’est évidemment pas le scénario le plus économique, car il renforce le poids du coût des voyages dans le bilan des opérations, tout en obligeant à accroître la taille de la flotte de MCT.
18 m/1,5 y | 44 m/3,5 y | 70 m/6 y | 96 m/8y | Permanent | |
---|---|---|---|---|---|
Customer stay duration | |||||
Tourists % | 90 | 10 | 0 | 0 | 0 |
Tourists # | 270 | 30 | 0 | 0 | 0 |
Long-term Immigrants % | 0 | 0 | 10 | 70 | 20 |
Long-term Immigrants # | 0 | 0 | 5 | 35 | 10 |
Missionned Personnel % | 60 | 35 | 5 | 0 | 0 |
Missionned Personnel # | 45 | 26,25 | 3,75 | 0 | 0 |
Paid personnel stay duration | |||||
Paid Personnel % | 5 | 25 | 65 | 5 | 0 |
Paid Personnel # | 27 | 134 | 349 | 27 | 0 |
Hypothèses de travail sur les durées de séjour planétaire, par catégories de résidents.
3. Considérations générales
3.1. Les contraintes de l’entreprise
Une colonie de 1000 personnes peut paraître une ambition sans rapport avec la perspective d’une future civilisation planétaire avancée. Mais l’examen quelque peu détaillé du projet permet d’en réaliser rapidement les difficultés, dès cette échelle. Celles-ci résultent principalement du coût des transports (même avec un MCT réutilisable), de leur faible fréquence, de l’échelle importante des moyens d’approvisionnement en énergie et en nourriture, et des conditions de l’environnement martien. Ceci sans oublier la question du montant de l’investissement, qui contraindra la conception des habitats par l’intermédiaire de la mise en place des moyens de production in situ requis.
3.2. Une orientation du concept de colonie déterminante
La prise en considération d’un modèle d’établissement martien dédié à l’offre d’hébergement et de services à des clients touristiques ou professionnels, conçu comme un business à terme, constitue une réorientation conceptuelle radicale par rapport au scénario traditionnel, limité à la perspective du développement de l’exploration scientifique. On peut reprocher à cette posture de manquer de réalisme car la faisabilité réelle du concept, technique, financière et humaine, est loin d’être démontrée. Mais l’idée est suffisamment fertile – et, dans une certaine mesure – déjà en perspective, pour qu’il soit intéressant de s’y pencher. Cette réorientation renforce, comme on vient de l’évoquer, les impératifs de conception économique, mais oblige également à modifier la vision des conditions de vie à offrir aux résidents : dans ce cadre, la population martienne ne sera plus modelée par le profil d’astronautes en service commandé, prêts à bien des sacrifices pourvu que leur sécurité et leur productivité scientifique restent la priorité, ni par celui de colons ayant choisi l’option radicale d’un exil définitif sur un autre monde.
3.3. Deux conséquences remarquables des hypothèses MCT
Si, faute d’informations, on en reste à l’hypothèse qui s’est fait jour d’une charge utile de 100 tonnes, dont un maximum de 100 passagers, la prise en compte des résultats de notre modèle économique font ressortir deux points importants pour le scénario.
En premier lieu, même en considérant un coût de lancement très réduit (200 M€, ce qui est malgré tout supérieur à ce qu’ambitionnerait SpaceX), on réalise que les coûts salariaux n’atteignent pas la moitié des coûts de transfert, malgré la longue durée des missions et la prise en considération d’une grille de salaires élevée (9000 à 40000 €/mois), nécessaire pour encourager les volontaires à franchir le pas. Ce facteur est favorable à la crédibilité.
Par ailleurs, la nécessité de réaliser par période synodique un nombre minimum de vols (mixtes) pour assurer le trafic passagers (6 dans notre modèle) conduit à une « offre » cargo plutôt surdimensionnée permettant de nuancer le principe de l’utilisation maximale des ressources locales (cf. § 4.3). Cette circonstance amène à considérer qu’un certain nombre de biens, indispensables ou précieux mais dont la production in situ est inenvisageable ou excessivement lourde en investissement de moyens, pourront être importés de la Terre, du moment que leur masse unitaire reste faible. Nous pensons en l’occurrence à deux catégories, que l’étude d’une colonie fait apparaître :
- en matière d’alimentation : une véritable autarcie serait à la fois difficile à atteindre, du fait des surfaces cultivées à prévoir (de 60 à 90 m²/résident), impliquant des serres nombreuses, et problématique pour la santé et le moral des habitants ; pourquoi les priverait-on de compléments à la fois énergétiques, appréciés et riches en nutriments ? par exemple, du café, du chocolat, des (petits) fruits, ou toutes friandises propres aux différentes cultures culinaires ;
- en matière de pièces de structures : pour élaborer les matériaux de construction, on aura besoin de certains produits chimiques additifs (ex. Na2O, K2O pour le verre), qu’il est certes possible d’obtenir in situ mais qu’il serait plus avantageux d’importer, dans les cas où leur tonnage reste limité. On doit même envisager d’importer certaines pièces de structure, légères et dont l’élaboration est complexe, comme par exemple des cadres et renforts en composite carbone.
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Bonjour,
Avez-vous pu considérer l’influence du refroidissement par radiation uniquement versus un refroidissement par convection dans la manufacture du verre dans l’atmosphère martienne? Alternativement, il serait peut être possible d’utiliser des soufflantes à haute vitesse, malgré la faible densité de l’atmosphère martienne, pour créer une certaine convection?
Bjr, non je n’ai pas envisagé la convection forcée, mais je sais qu’un industriel anglais avait étudié la question pour la source froide d’un générateur électronucléaire martien. Leur conclusion n’était pas encourageante. Il faut réaliser que si la production de plaques de verre sur Mars demandera la mise en place de moyens assez lourds, la cadence, par contre, resterait modeste (10 à 15 m² par jour), dans l’hypothèse d’une phase de construction de 20 ans. Les plaques pourront donc refroidir lentement (sauf si l’obtention des caractéristiques l’en empêchait).
Pour le verre, des plus petites surfaces, par exemples ces carreaux de 200mm x 200mm, permettent de réduire considérablement les efforts structuraux sur le verre, essentiellement en remplaçant le verre en flexion par du métal en tension. Pensez-vous que ceci permettrait de réduire le coût des serres, ou est ce que le nombre additionnel de joints et d’étapes de fabrication va canceller les gains?
Bonjour,
J’aimerais utiliser l’image de InSitu ressources pour un article de Marspedia. J’ai une image similaire mais je trouve que votre graphique est plus clair et plus approprié.
https://marspedia.org/List_of_ISRU
Bonjour,
vous avez mon accord, sous réserve qu’apparaisse clairement la mention : Copyright R.Heidmann