Comme chacun sait, un des motifs principaux de l’exploration de Mars est la recherche de la vie.
Il s’agit de savoir si ce phénomène extraordinaire a pu se produire ailleurs que sur Terre. Parmi tous les astres accessibles, Mars est le candidat préféré des chercheurs car il est celui qui au début de son histoire et sur une période longue, jusqu’à ce que la vie se manifeste sur Terre, a été le plus semblable à la Terre (chaleur interne, dynamo interne et magnétosphère, volcanisme, eau liquide en surface, hydratation de roches identiques, cycle circadien de même durée, irradiance solaire et radiations reçues en surface d’intensités comparables).
Que peut-on espérer trouver ?
D’abord il faut noter que l’espace interplanétaire contient un nombre important de molécules organiques, plus de 150 identifiées ce jour dont 50 relativement complexes (> 6 atomes de C) et certaines utilisables par la vie: acide formique (HCOOH); acide cyanhydrique (HCN); formaldéhyde (HCHO); sucres polyols (glycol); certains acides aminés. Ces molécules qui logiquement ont dû être les sources exogènes de notre vie, sont contenues dans des météorites dites chondrites carbonées, qui pleuvent sur la Terre depuis sa création. Il est évident que la même « pluie » a apporté sur Mars les mêmes éléments puisque les deux planètes sont dans la même région du système solaire.
Complexification et incubateurs
Qu’est-il arrivé par la suite ? Nous le savons bien en ce qui concerne la Terre. Elle a été un incubateur efficace pour complexifier ces molécules et aussi pour mener vers ce même niveau de complexité la transformation chimique (source endogène) des éléments chimiques dont le sol et l’atmosphère étaient riches (les fameux éléments C, H, O, N, P, Ca ainsi que, en plus faible quantité, S, Na, K, Mn, Fe et Cl que l’on trouve dans tous les organismes vivants).
Cette complexification s’est effectuée progressivement et a été poussée sur Terre aussi loin que nécessaire, dans des molécules de plus en plus différenciées et longues (polymérisation), jusqu’à ce que certaines de ces macromolécules (polynucléotides, polypeptides, polysaccharides) se retrouvent assemblées fonctionnellement au sein d’organismes capables d’utiliser l’énergie potentielle existant dans leur environnement (couples redox divers présents dans les minéraux) pour stocker puis utiliser à l’intérieur d’elles-mêmes (molécules d’AMP/ADP/ATP) l’énergie nécessaire au maintien de leur composants et à leur autoreproduction. Ce stade, celui de l’être vivant, a été atteint il y a au moins 3,5 milliards d’années sur Terre, soit un milliard d’années après que la Terre et Mars aient été formées.
On s’interroge encore sur l(es) « incubateur(s) », tout en ayant sur le sujet des idées de plus en plus précises. Certaines cheminées hydrothermales des dorsales océaniques (circulation de fluides chauds, mais pas trop, et riches en minéraux, au sein de milieux microporeux) auraient favorisé la création d’hydrocarbures variés et d’acides gras. Des écoulements en milieu aride sur certains types de roche (serpentinites) à partir de sources hydrothermales, auraient facilité la formation de riboses. Des chocs météoritiques et de fortes radiations en surface dans une atmosphère réductrice (il n’y avait pas d’oxygène libre dans l’atmosphère de la Terre primitive mais beaucoup de gaz carbonique et de soufre, tout comme dans l’atmosphère de Mars) auraient permis la formation de sucres, d’aminoacides, d’acides nucléiques. Chacun de ces incubateurs a pu apporter sa contribution à l’évolution prébiotique. Ensuite certains de ces milieux, les mêmes ou d’autres, tels que les zones de balancement des marées furent particulièrement favorables à l’assemblage des éléments au sein de microcapsules phospholipidiques (micelles, coacervats).
Il a peut-être fallu une « collaboration » de milieux différents et dont l’ensemble était spécifique à la Terre pour qu’en fin de compte le processus aboutisse à la vie. Mars qui a connu l’eau liquide en surface mais pendant moins longtemps que la Terre et dont l’environnement a été aussi un peu différent (températures plus fraîches, environnement plus sec, absence de marée, absence ou disparition précoce de la tectonique des plaques, disparition précoce d’une grande partie de l’atmosphère) peut nous apporter des réponses à ce qu’ont été les conditions et les phases essentielles, en nous montrant jusqu’où l’évolution prébiotique y a été menée.
Le saut entre inerte et vivant
Attention cependant : le saut entre le prébiotique et le vivant reste un mystère que l’on n’a pu élucider dans aucune étude ni aucun laboratoire. Sur Mars, la vie ou le cheminement vers la vie de la chimie prébiotique a pu, ou non, franchir ce seuil. Il a pu aussi le franchir puis s’arrêter compte tenu de conditions devenues trop hostiles. Ou encore il a pu commencer en surface puis se réfugier dans le sous-sol. Là encore, il a pu s’adapter puis s’éteindre après avoir péniblement continué quelque temps sous forme ralentie puis dormante. Cette évolution avortée ou stoppée est ce que l’absence de rejets métaboliques clairement identifiables laisse entrevoir.
Le rôle du temps
Il faut noter que le temps a pu jouer un rôle important. On ne sait pas s’il a été suffisamment long sur Mars, toutes les autres conditions étant remplies, pour que le processus prébiotique commence et aboutisse (on suppose a priori que quelques millions d’années sont nécessaires). On ne sait pas non plus si la maturation prébiotique a été coordonnée adéquatement avec l’évolution planétologique de l’astre. Les émanations des cheminées hydrothermales océaniques terrestres ou les zones de balancement des marées ne produisent plus de nouvelles variétés d’êtres vivants (peut-être à cause de la vie elle-même et de ses rejets, notamment d’oxygène). Il n’y a pas eu d’autres LUCA que le nôtre (Last Universal Common Ancestor dont l’existence est déduite par la phylogénie moléculaire de la molécule 16SrRNA commune à tous les êtres vivants) même si LUCA a pu avoir des frères et des cousins à son époque primitive (dont la descendance a disparu depuis longtemps). Les conditions ayant permis l’émergence de la vie sur Terre (environnement réducteur, températures,…) n’existent plus à notre époque et la période pendant laquelle l’évolution prébiotique et l’évolution planétologique ont permis « l’allumage » de la vie a pu être très court. On ne sait pas ce qu’il en a été sur Terre et on ne sait pas du tout ce qu’il en a été sur Mars. Les modalités d’évolution des conditions environnementales ont pu également jouer. Stephen Benner a mis en évidence qu’il a fallu des alternances d’humidité et de sécheresse pour d’une part permettre la formation de certaines molécules organiques et d’autre part éviter qu’elles ne se transforment simplement en goudron en restant trop exposées à l’eau (actions des molybdates sur les glucides pour favoriser la création de ribose ; action des borates sur les hydrates de carbone pour empêcher la décomposition des molécules organiques). Curieusement d’ailleurs Stephen Benner en déduit que puisque l’alternance entre phases sèches et humides semble avoir été plus probable sur Mars que sur Terre (la Terre étant vers -4 milliards probablement recouverte d’un océan global), la vie aurait pu commencer sur Mars pour être ensuite transportée sur Terre par des météorites (auquel cas il pourrait bien n’y avoir qu’un seul LUCA et la vie martienne serait de la même « famille » que la nôtre).