Une étude* basée sur l’analyse isotopique de l’hydrogène contenu dans trois météorites martiennes, montre que la planète, à l’époque où ces météorites ont été éjectées, devait posséder dans sa croûte une masse d’eau importante distincte de l’eau atmosphérique et de l’eau incluse dans son manteau. Comme les dates d’éjection sont très récentes à l’échelle des temps géologiques (entre seulement 0,7 et 3,3 millions d’années) et qu’aucun apport ni aucun cataclysme planétaire majeur pouvant l’expliquer ne sont intervenus depuis le « LHB » (grand bombardement tardif), cela veut dire que cette eau est forcément très ancienne (près de 4 milliards d’années) et qu’elle a dû persister jusqu’à aujourd’hui (sous forme liquide ou solide).
Les proportions de l’isotope lourd d’hydrogène, le deutérium D, et de l’hydrogène « normal » H, à un seul proton (donc léger), permettent de déduire une histoire de l’eau en distinguant les masses ayant eu une histoire différente dans des contextes différents. Les météorites, qui ont été éjectées de la planète depuis son origine et jusqu’à nos jours, peuvent nous donner des informations sur cette histoire de par leur composition. Leur rapport deutérium/hydrogène est différent selon leur origine magmatique ou de surface (on trouve les deux dans la même météorite). On examine ces rapports au sein des minéraux magmatiques (tels que l’apatite) ou dans les verres (roches vitrifiées) dont la fonte résulte du choc ayant créé la météorite et qui sont donc de surface. On complète l’information en analysant les inclusions de corps volatils (H2O, CO2, F, Cl, S) et la teneur en certains éléments radioactifs (Sr, Nd, Hf) qui permettent notamment la différenciation des magmas d’origine et la datation.
Comme le verre contient très peu d’eau, les examens sont difficiles. On peut aujourd’hui y parvenir en utilisant des microsondes/spectromètres à faisceaux d’électrons et/ou des microsondes/spectromètres à faisceaux d’ions, suivant une très délicate préparation des échantillons pour éviter toute contamination, très risquée compte tenu des masses extrêmement petites qui sont examinées.
L’étude en référence porte sur le verre de trois météorites identifiées comme martiennes (shergottites du groupe « SNC »), Y98, EETA79, LAR06, distinctes dans leur composition chimique en termes d’éléments radioactifs et distinctes dans leur âge (cristallisation et éjection). Cela permet d’obtenir des informations sur différents endroits en surface à différentes époques.
Il est surprenant de constater que les valeurs du rapport D/H dans ces minéraux de surface (verres) sont très proches, homogènes, dans les trois météorites, indépendamment du rapport isotopique, variable, D/H de leur composante magmatique et de celui du rapport D/H de l’eau présente dans l’atmosphère. Cela témoigne d’une grande homogénéité de l’eau de surface sur toute la planète durant une très longue période. Mais dans quel réservoir se trouve-t-elle? Les auteurs de la note présentent deux hypothèses : soit des roches hydratées de la croûte soit des strates de glace dans le sol (dans les deux cas elle est par définition à l’abri de la sublimation qu’elle subirait en surface).
La première hypothèse résulterait d’une hydratation très ancienne de roches superficielles (argiles) qui auraient ensuite gardé leur contenu en eau.
La seconde hypothèse suggère des couches de glace alternant avec des couches de sédiments divers. Dans ce cas la glace devrait avoir au moins trente mètres d’épaisseur pour conserver des rapports isotopiques spécifiques (différents de ceux de la glace exposée à la surface). C’est l’hypothèse la plus probable compte tenu que la concentration d’eau semble non corrélée avec celle de certains corps volatils tels que le chlore. Cela permettrait aussi un réapprovisionnement constant d’eau dans l’atmosphère malgré les pertes atmosphériques (la glace du sous sol percolant vers la surface, où elle est sublimée).
Dans les deux cas, les rapports D/H des météorites sont du type « moyen » que l’on retrouve dans le sol des grandes plaines du Nord. C’est aussi dans ces plaines que Mouginot et al.** ont remarqué en 2012 une diélectricité basse du sous-sol (entre 60 et 80 mètres) exprimant une eau présente ou passée (porosité subsistante). Par ailleurs, puisque les météorites sont relativement récentes, elles pourraient provenir des grands volcans du Nord qui ont été les derniers actifs sur Mars (Tharsis, Elysium) et des régions alentour, situées à l’intérieur des lignes de rivages de l’océan boréal putatif.
On sait donc qu’il y a eu de l’eau sur Mars, que cette eau était dans un réservoir suffisamment homogène pour être à certaines époques liquide et être « brassée » dans un cycle de l’eau global. On ne peut avancer aucune autre probabilité forte mais cela alimente encore davantage les hypothèses en faveur d’un processus de vie martien à l’époque ou la planète conservait plus d’eau qu’aujourd’hui et où les conditions climatiques permettaient qu’elle soit périodiquement liquide (cf. lacs du cratère Gale).
Les réserves d’eau de Mars: les calottes polaires Nord et Sud, le régolite des hautes terres du Sud (à gauche), les basses terres du Nord (à droite) (doc. NASA)
*“Meteoritic evidence for previously unrecognized hydrogen reservoir on Mars” par Tomohiro Usui et al. publié le 9 décembre 2014 dans Earth and Planetary Science Letters doi.10.1016/j.epsl.2014.11.022
** « Dielectric map of the Martian Northern Hemisphere and the nature of plain filling material », par Jérémy Mouginot et al. publié le 19 janvier 2012 dans Geophysical Research Letters, Doi:10.1029/2011GLO50286,20