Traduction du texte paru sur le site du JPL http://www.jpl.nasa.gov/news/news.php?release=2014-065 sous le titre « Des scientifiques de la NASA trouvent des signes d’action de l’eau dans une météorite. Ils relancent le débat de la vie sur Mars. »
Une équipe de scientifiques du Centre Spatial Johnson (« JSC ») de la NASA à Houston et du Jet Propulsion Laboratory (« JPL ») à Pasadena, a trouvé des preuves d’action passée d’eau à l’intérieur d’une météorite martienne. Cela relance,dans la communauté scientifique, le débat de la vie sur Mars.
En 1996, un groupe de scientifiques du JSC dirigé par David McKay, Everett Gibson et Kathie Thomas – Keprta avait publié dans la revue Science un article annonçant la découverte de traces biogéniques dans la météorite « Allan Hills 84001 » (« ALH 84001 »). Dans cette nouvelle étude, Gibson et ses collègues se concentrent sur des structures qui se trouvent profondément à l’intérieur de la météorite martienne (de moins de 13,7 kilos) connue sous le nom de « Yamato 000593 » (« Y000593 »). Le groupe rapporte que différentes structures nouvellement découvertes et certaines caractéristiques de composition au sein de la météorite suggèrent que des processus biologiques auraient pu être actifs sur Mars il y a des centaines de millions d’années.
La météorite ALH 84001 qui avait défrayé la chronique en 1996, est exposée (bien protégée) au muséum d’histoire naturelle de Washington (doc. A. Souchier)
Les découvertes de l’équipe ont été publiées dans le numéro de Février de la revue Astrobiology. L’auteure principale, Lauren White, est basée au JPL. Ses co-auteurs sont Gibson, Thomas – Keprta, Simon Clemett et David McKay, tous basés au JPL. David McKay qui dirigeait l’équipe qui avait étudié la météorite ALH84001, est décédé il ya un an.
Selon Lauren White :« Tandis que les missions robotiques martiennes continuent à faire avancer notre connaissance de l’histoire de la planète, les seuls échantillons de Mars que l’on puisse étudier sur Terre, sont les météorites martiennes. Sur Terre, nous pouvons utiliser de multiples techniques d’analyse pour observer plus précisément l’intérieur des météorites et mieux comprendre l’histoire de Mars. Ces échantillons offrent des indices sur l’habitabilité passée de la planète. Au fur et à mesure que davantage de météorites martiennes sont découvertes, une recherche continue s’appliquant à des échantillons plus nombreux, donne une meilleure compréhension des caractéristiques propres à l’ancienne Mars. Comme par ailleurs on peut rapprocher ces études de météorites des observations robotiques effectuées actuellement sur Mars, on pourra découvrir les mystères du passé apparemment plus humide de la planète ».
Des analyses de ce roc ont permis de constater qu’il a été formé il y a environ 1,3 milliards d’années par une coulée de lave sur Mars. Il y a environ 12 millions d’années, un impact l’a éjecté de la surface de la planète. Il a ensuite voyagé à travers l’espace pour tomber dans l’Antarctique il y a près de 50.000 ans.
Il a été trouvé sur le glacier « Yamato »par l’expédition japonaise de recherche en Antarctique de l’an 2000. La météorite a été classifiée comme une « nakhlite », un sous-groupe de météorites martiennes. La matière météoritique martienne se distingue des autres matières météoritiques et des matériaux terrestres ou lunaires par la composition de ses atomes d’oxygène inclus dans les minéraux de silicate et les gaz atmosphériques qui y sont piégés.
Un fragment de 115 g de la météorite martienne de Nakhla exposé au muséum d’histoire naturelle de Paris (doc. A. Souchier)
L’équipe a trouvé deux séries distinctes d’éléments caractéristiques associés à de l’argile d’origine martienne. Il s’agit d’abord d’un tunnel et de micro-tunnels qui se faufilent au travers de la météorite. Les micro- tunnels observés présentent des courbes et des formes ondulées compatibles avec des altérations biologiques observées dans les verres basaltiques terrestres, et qui ont été signalées par les chercheurs qui étudient les interactions des bactéries avec ces matériaux basaltiques terrestres.
Les micro-tunnels de la météorite martienne Yamato. Cette image au microscope électronique à balayage montre des tunnels et micro-tunnels incurvés. De l’iddingsite (variété d’argile) est présente dans cette météorite qui a été découverte dans l’Antarctique en 2000 et identifiée comme provenant de Mars. L’échelle est donnée en bas à gauche par une barre de 2 microns. (Doc. NASA)
Il s’agit ensuite de sphérules d’une taille allant de quelques nanomètres jusqu’au micromètre, qui sont inclues dans des couches d’iddingsite prises en sandwich à l’intérieur de la roche et qui sont chimiquement distinctes de la couche sous-jacente de carbonate et de silicate. De telles formes sphériques ont déjà été observées dans la météorite martienne de Nakhla tombée en 1911 en Egypte. Les mesures de la composition des sphérules de Y000593 montrent qu’elles sont considérablement enrichies en carbone par rapport aux couches d’iddingsite qui les enveloppent.
Cette image au microscope électronique à balayage montre des particules sphériques noyées dans une couche d’iddingsite, un minéral formé par l’action de l’eau. La zone entourée de rouge, comportant des microsphères comporte deux fois plus de carbone que la zone cerclée en bleu qui n’en comporte pas. (Doc. NASA)
Il est remarquable que ces deux caractéristiques de la météorite Y000593, récupérée dans l’Antarctique après environ 50.000 ans, soient similaires à celles de la météorite trouvée à Nakhla peu de temps après qu’elle ait atterri sur Terre.
Les auteurs notent qu’ils ne peuvent exclure la possibilité que les zones riches en carbone dans les deux éléments caractéristiques de la météorite, puissent être le produit de mécanismes abiotiques : cependant, les similitudes de texture et de composition avec des éléments d’échantillons terrestres, qui ont été interprétés comme biogénique, impliquent la possibilité passionnante que les caractéristiques de cette météorite martiennes aient été formés par une activité biotique.
« Les caractéristiques très particulières que présentent la météorite martienne Yamato 000593 sont la preuve d’altérations aqueuses comme on en voit dans les minéraux argileux et la présence de matière carbonée associé aux phases argileuses montrent que Mars a été un corps très actif dans le passé », déclare Gibson. « La planète révèle la présence d’un réservoir d’eau actif qui peut aussi contenir une composante significative de carbone. »
« Connaître la nature et la répartition du carbone martien est l’un des principaux objectifs du programme d’exploration de Mars. Comme nous avons constaté du carbone indigène dans plusieurs météorites martiennes, nous ne pouvons trop insister sur l’importance d’obtenir des échantillons martiens pour les étudier dans des laboratoires terrestres. Les petites dimensions des éléments carbonés trouvés dans la météorite Yamato 000593 présentent des défis majeurs pour des analyses à distance sur Mars » ajoute Gibson.
Selon Lauren White : « Ce n’est pas une preuve irréfutable. Nous ne pouvons jamais éliminer la possibilité de contamination dans une météorite. Mais ces caractéristiques sont néanmoins intéressantes et montrent que l’étude de ces roches devrait continuer ».
Commentaire :
Après ALH84001, après Nakhla, cette météorite Y000593 nous fait sensiblement avancer vers l’acceptation par la communauté scientifique qu’il y a bien eu l’amorce d’un processus de vie sur Mars comme David McKay nous l’a proposé en 1996 puis en 2009. Il est plus que troublant que des formes d’apparence bactérienne aient été trouvées dans ces trois roches tombées sur Terre dans des endroits très différents et très éloignés. Par ailleurs, le fait que ces « biomorphes » apparaissent dans des couches de matériaux d’iddingsite indiscutablement martiens, devraient encore davantage lever les dernières réticences.
Ce que nous attendons maintenant, c’est de trouver de telles formes, riches en carbone, sur Mars. Cela lèverait évidemment toute supposition de contamination terrestre. Curiosity en sera-t-il capable ? Les exobiologistes disent que les instruments de recherche à bord du rover ne sont pas vraiment prévus pour cela. Il est vrai que les fossiles éventuels, s’ils sont du type observé dans les météorites, sont extrêmement petits (moins d’un micromètre) et que les instruments de Curiosity peuvent ne pas les voir (la résolution de MAHLI est de 13,9 micromètres par pixel) d’autant qu’ils doivent être rares compte tenu des conditions hostiles prévalant depuis très longtemps à la surface de Mars. Mais une analyse chimique par SAM de quelques sphérules plus grosses pourrait peut-être encore nous surprendre. Après tout, si la vie a commencé sur Mars aussi bien que sur la Terre, elle a pu se poursuivre un certain temps en surface en s’y adaptant ou bien remonter du sous-sol où elle se serait réfugiée et aurait prospéré, à l’occasion de quelques épisodes climatiques favorables comme, nous en sommes certains, Mars en a connu au cours de sa longue histoire.
Attendons donc avec espoir l’arrivée de Curiosity dans les couches de smectite identifiées au pied du Mont Sharp par les spectromètres embarqués sur les satellites.