La difficulté de l’identification
Aujourd’hui la difficulté peut être d’identifier ce que l’on cherche. Nous connaissons un seul chemin de la vie, le nôtre qui, depuis LUCA, a conduit jusqu’à nous. Mais si on met de côté l’hypothèse de Stephen Benner, Mars a pu avoir son propre LUCA ou même, compte tenu de l’absence possible d’un océan global suffisamment étendu (permettant la dispersion et l’homogénéisation des molécules puis des cellules), plusieurs LUCA qui se seraient construits sur des molécules dont les composants, certes organiques, seraient néanmoins légèrement différents des nôtres (acide nucléiques différents, protéines utilisées différentes, sucres de même familles que nos riboses mais selon des variantes que nous n’utilisons pas). Ces organismes pourraient ne pas réagir aux réactifs qui permettent d’identifier les nôtres.
Si le processus de vie a commencé sur Mars parallèlement à la Terre et s’il a évolué, quel stade de développement a-t-il pu atteindre ? Tout d’abord, compte tenu de l’hostilité de l’environnement de surface martien et l’absence de rejet métabolique manifeste, on peut douter qu’il se soit poursuivi longtemps à ce niveau. Peut-être a-t-il commencé en surface pour ensuite se continuer en sous-sol dans des conditions de températures, d’humidité et de radiations plus favorable. Des grottes ont pu même faciliter le développement d’organismes relativement complexes. Mais les grottes restent par définition des endroits favorisant peu les échanges et les enrichissements. Même donc dans le meilleur des cas, les hypothétiques « martiens » n’ont probablement pas atteint le niveau des eucaryotes terrestres, organismes à noyau et à organites (tels que les mitochondries) fonctionnant sur le déséquilibre énergétique « riche » que les eucaryotes privilégient : du carbone brûlant dans de l’oxygène. Il faut plutôt rechercher une vie de type procaryote : des organismes à structure interne peut différenciée et « faisant feu de tout bois », c’est-à-dire maximisant leur surface active par rapport à leur volume et pouvant utiliser les différentiels redox les moins générateurs d’énergie et les plus variés, donc de type archée plutôt que de type bactérie.
Le temps a pu sinon effacer du moins déformer considérablement les traces. Pour les identifier, les taphonomistes (spécialistes qui étudient les processus de fossilisation) devront se donner beaucoup de mal. La détérioration de l’environnement favorable à la vie en surface (omniprésence des perchlorates, intensité des radiations, UV, SPE -Solar Particle Event- et galactiques) ont pu aussi faciliter la destruction des molécules biotiques. Il faut donc envisager toutes sortes de stratégies indirectes pour identifier des indices. Ce peut-être la proportion élevée de l’isotope 12 de l’élément carbone dans des structures biomorphes (comme on a pu en déceler dans des météorites martiennes recueillies sur Terre) ; plus léger que les autres, cet isotope est naturellement préféré par la vie. Ce peut-être l’identification d’un choix de chiralité dans des molécules organiques (énantiomères) appartenant à de tels biomorphes. Sur Terre tous les êtres vivants utilisent des molécules organiques à chiralité gauche (« lévogyre »). On pourrait donc les rechercher sur Mars. Les « martiens » pourraient théoriquement aussi utiliser les chiralités droites (« dextrogyres ») mais certainement pas les deux car la vie exclue l’utilisation indifférenciée des énantiomères qui conduirait à des structures alternatives beaucoup trop complexes.
A défaut d’indices forts, évidents, peu probables, on se trouvera sans doute face à une conjonction d’indices faibles qui ensemble pourront réduire considérablement nos doutes. Imaginons que dans un terrain argileux ancien (> de 3,5 milliards d’années) susceptible de servir de support à la vie et ensuite de la conserver relativement mieux que d’autres roches, on trouve des biomorphes du type de ceux qu’on a trouvés dans les météorites d’origine martienne Nakla ou Yamato. Imaginons qu’ensuite à l’examen par le laboratoire SAM de Curiosity, ce biomorphe s’avère particulièrement riche en carbone 12C, qu’on y identifie des énantiomères et que ceux-ci soit tous de la même chiralité, on aurait fait un saut énorme vers l’identification de fossiles martiens.
Nos capacités technologiques
Les instruments actuellement sur Mars nous permettent-ils de tels découvertes ? Visuellement cela sera difficile car la taille idéale (le meilleur rapport entre volume et surface, compte tenu d’une complexification interne minimum) de tels êtres vivants primitifs doit se situer entre 100 nanomètres et un ou deux microns. En dessous de 100 nanomètres le volume interne d’une cellule peut difficilement abriter suffisamment de molécules diversifiées nécessaires à la vie et la pauvreté de l’environnement martien n’a pas dû permettre le développement d’êtres plus volumineux qu’un ou deux microns. La faculté de discernement de la caméra MAHLI de Curiosity s’arrête à 12,5 microns donc bien au-dessus de la taille de probables fossiles. Reste donc l’analyse chimique. Le chromatographe en phase gazeuse de SAM permet l’identification des isotopes de carbones ainsi que la chiralité des molécules. Par ailleurs, la vie étant grégaire et symbiotique, le rover pourrait « tomber » sur des sites particulièrement riches en caractéristiques biotiques (films microbiens) même si ces caractéristiques ne pourraient être réduites visuellement à des fossiles identifiables. Cette accumulation faciliterait évidemment l’identification chimique.
Il reste donc possible que Curiosity nous fasse avancer vers l’identification de traces de vie, en attendant que des instruments plus puissants et précis puissent être envoyés sur Mars et surtout des instruments qui permettent de faire des prélèvements à quelques mètres en sous-sol, au-delà de la pénétration de l’essentiel des radiations et en dessous de la limite où l’eau liquide devient instable. La présence de l’homme sur place faciliterait évidemment beaucoup l’utilisation intelligente et efficace de ces instruments.
Références :
“Life : past, present and future ”, par Kenneth H. Nealson & Pamela G. Conrad, publié par The Royal Society, Lond. B (1999) 354, 1923-1939.
“Habitability on Mars from a microbial point of view”, par Frances Westall and al. in Astrobiology (Mary Ann Liebert Inc), Vol. 13, Number 9, 2013, DOI: 10.1089/ast.2013.1000.
« La vie est-elle universelle? » par André Brack, publié en 2003 chez EDP Sciences .