Info NASA du 13 avril 2015 (2015-127).
Par Guy Webster, JPL, et Dwayne Brown, Siège de la Nasa.
Traduction Pierre Brisson
« Les conditions climatiques,de l’air et du sol, que le rover Curiosity de la NASA a mesurées, pourraient, avec un type de sel présent dans le sol martien, introduire de la saumure liquide dans le sol, pendant la nuit.
Le sel de perchlorate identifié dans le sol martien par la mission Curiosity (voir l’article sur le sujet), et auparavant par la mission PHOENIX de la NASA, a la propriété d’absorber la vapeur d’eau de l’atmosphère et d’abaisser la température de glaciation de l’eau. Pendant des années, cela a été proposé comme un mécanisme pouvant permettre l’existence de saumures liquides transitoires aux hautes latitudes sur la Mars moderne, en dépit des conditions froides et sèches qui y prévalent.
De nouveaux calculs ont été effectués sur plus d’une année de mesures de température et d’humidité prélevées par Curiosity. Ils montrent que les conditions dans la région proche de l’équateur où se trouve le rover, sont favorables,quelques nuits de l’année, à la formation de petites quantités de saumure qui sèche à nouveau après le lever du soleil. Les conditions devraient être encore plus favorables à des latitudes plus hautes (en allant vers les pôles), là où des températures plus froides et davantage de vapeur d’eau peuvent induire plus souvent une humidité relative plus élevée.
« Comme nous le savons, l’eau liquide est un prérequis pour la vie et une cible pour les missions d’exploration de Mars », déclare l’auteur principal du rapport, Javier Martin-Torres membre du CSIC (« Consejo Superior de Investigaciones Scientificas », Conseil espagnol de la recherche) dans son Centre d’Astrobiologie, professeur àl’Université de Technologie de Lulea en Suède et également membre de l’équipe scientifique de Curiosity. « Les conditions près de la surface de Mars aujourd’hui ne sont guère favorables à la vie microbienne telle que nous la connaissons mais la possibilité de saumures liquides sur Mars a des implications plus larges pour l’habitabilité et les processus géologiques liés à l’eau. » »
Sur cet image Mastcam on voit des éléments de la station météo REMS fournie par l’Espagne, en particulier la perche de mesure qui est fixée sur la gauche du mât (doc. NASA/JPL-Caltech/MSSS)
« Les données météorologiques du rapport publié aujourd’hui dans Nature Geosciences, proviennent de l’instrument REMS (pour « Rover Environmental Monitoring Station ») de Curiosity, fourni par l’Espagne et qui comprend un capteur d’humidité relative et un capteur de températures du sol. La mission MSL (« Mars Science Laboratory ») de la NASA utilise Curiosity pour étudier tout à la fois les conditions environnementales anciennes et présentes dans la région du cratère Gale. Le rapport utilise également des mesures d’hydrogène dans le sol provenant de l’instrument DAN («Dynamic Albedo of Neutrons ») fourni par la Russie. »
Les instruments de Curiosity (doc. NASA/JPL-Caltech)
« « Nous n’avons pas détecté de saumures mais le calcul de la possibilité qu’elles puissent exister dans le cratère Gale pendant quelques nuits, témoigne de la valeur des mesures que REMS fournit tous les jours et toute l’année, sur 24 heures et 365 jours ». déclare Ashwin Vasavada du Jet Propulsion Laboratory de la NASA, chef de l’équipe scientifique de la mission MSL et l’un des co-auteurs du rapport.
MSL est la première mission qui mesure l’humidité relative dans l’atmosphère martienne proche de la surface ainsi que la température du sol à tous les moments de la journée et durant toutes les saisons de l’année martienne. L’humidité relative dépend de la température de l’air ainsi que la quantité de vapeur d’eau. Les mesures de Curiosity donnent des taux d’environ cinq pour cent pour les après-midi d’été, jusqu’à 100 pour cent pour les nuits d’automne et d’hiver.
Les pores du sol, ouverts sur l’atmosphère martienne, interagissent avec l’air qui se trouve juste au-dessus du sol. Lorsque son humidité relative passe au-dessus d’un certain seuil, les sels peuvent absorber suffisamment de molécules d’eau pour se dissoudre dans un liquide, un processus appelé « déliquescence ». Les sels de perchlorate sont particulièrement efficaces pour cela. Puisque des perchlorates ont été identifiés à la fois sur des sites proches du pôle Nord et proche de l’Equateur, on peut dire qu’ils sont présentspartout sur la planète.
Les chercheurs qui utilisent la caméra HiRISE («High Resolution Imaging Science Experiment ») du satellite Mars Reconnaissance Orbiter de la NASA, ont, ces dernières années, documenté de nombreux sites sur Mars où des flux sombres apparaissent et s’étendent sur certaines pentes pendant les saisons chaudes. Ces traits de relief sont appelés RSL (« Recurring Slope Lineae »). Une des premières hypothèses pour les expliquer implique des saumures formées par déliquescence.
Les écoulements du cratère Newton vus par Mars Reconnaissance Orbiter (doc. NASA/JPL-Caltech)
« Le cratère Gale est l’un des endroits les moins probables sur Mars pour que les conditions de formation de saumures soient réunies, par rapport à des sites de latitudes plus élevées ou avec davantage d’ombre. Donc, si des saumures peuvent s’y manifester, cela renforce la possibilité qu’elles se forment et persistent encore plus longtemps dans de nombreux autres endroits, peut-être en quantités suffisantes pour expliquer les RSL », déclare Alfred McEwen de l’Université d’Arizona, P.I (chercheur principal)de la caméra HiRISE, également co-auteur du nouveau rapport.
Dans les 12 mois suivants son atterrissage en Août 2012 dans le cratère Gale, Curiosity a trouvé les preuves d’anciens cours d’eau et d’environnements lacustres il ya plus de 3 milliards années, qui offraient des conditions favorables à la vie microbienne. Le rover examine maintenant une montagne aux couches stratifiées,à l’intérieur du cratère, pour chercher des explications sur l’évolution des conditions environnementales. »
Commentaire :
Ces mesures de REMS ont « fait le buzz », à l’initiative de la NASA. Les media s’en sont emparées pour nous annoncer une nouvelle fois qu’il pouvait y avoir de l’eau liquide sur Mars. C’est un peu irritant car les personnes qui s’intéressent au sujet, s’en doutent depuis déjà un certain temps !
Lors de l’atterrissage de PHOENIX, en 2008, on avait remarqué des gouttelettes qui évoluaient sur les pieds de l’atterrisseur et qui ne pouvaient être que des gouttes de saumures de perchlorates puisqu’on pouvait observer de la glace d’eau entre les pieds et que les instruments embarqués avaient confirmé la présence de ce sel en surface (voir l’article correspondant).
Gouttelettes, probablement de saumure, sur l’un des pieds d’atterrissage de la sonde Phoenix et leur évolution dans le temps (doc. NASA/JPL-Caltech)
Ceci dit, ne boudons pas le plaisir de cette confirmation. De l’eau suinte et coule encore bel et bien aujourd’hui sur Mars !
Il faudrait maintenant voir quel effet a cette eau sur les roches, les minéraux et les molécules qui les composent, surtout en sous-sol là où les radiations solaires et galactiques perdent leur nocivité.
Comme alternative à l’exploration d’ExoMars qui va (espérons-le !) prélever des échantillons à deux mètres de profondeur, il serait intéressant à cet égard d’aller, un jour, observer de près les surfaces et les sols les plus naturellement protégés de Mars, ceux ou l’atmosphère est la plus épaisse, au fond du bassin d’impact de Hellas qui s’étend à moins de 8.000 mètres de l’altitude moyenne –« datum » (pression atmosphérique de l’ordre de 1100 pascals contre 611 au datum). A cette altitude en effet le point d’ébullition de l’eau doit être très légèrement au-dessus de son point de glaciation, ce qui donne la fenêtre la plus large possible pour que l’eau soit liquide en surface de Mars, même si cette fenêtre est encore très étroite. C’est évidemment là où les effets de cette eau liquide doivent être les plus forts et les plus visibles.
Pierre Brisson